Une victoire en trompe-l’œil? Dans l’affaire qui opposait la capitale française et deux propriétaires de studios parisiens utilisant Airbnb, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a validé la loi française.
Anne Hidalgo, maire de Paris, s’est donc félicitée sur Twitter de «cette victoire, attendue par de nombreuses métropoles» qui marque selon elle «un tournant pour l’encadrement des locations saisonnières». Cela constitue une «avancée pour le droit au logement pour tous», s’est-elle réjouie.
Face à Aribnb, les grandes métropoles tentent de réagir
À travers l’Europe, la bataille face aux plateformes de location saisonnière fait également rage. En témoigne l’initiative de 22 grandes villes européennes, dont Bordeaux, Berlin, Barcelone, Milan ou Londres. Les maires et élus locaux ont porté jeudi 17 septembre dernier auprès de Margareth Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne, leurs propositions afin de mettre en place une législation plus adaptée, concernant la location de meublés touristiques.
#AirBnb
— Pierre HURMIC (@PierreHurmic) September 17, 2020
J’ai défendu ce jour devant la Commissaire Européenne à la concurrence avec les maires des métropoles européennes, la nécessité d'un encadrement strict du marché de la location saisonnière.
Il faut limiter ces dérives aux effets néfastes sur le logement des Bordelais.e.s pic.twitter.com/4cjwDJptTu
«Prix grimpant en flèche, exode des habitants du quartier, troubles du voisinage, risque sanitaire, disparition des commerces de proximité… les citoyens européens sont de plus en plus nombreux à se plaindre des nuisances générées par les locations touristiques», s’alarment-ils dans leur communiqué commun.
Pourtant, derrière ces offres de locations se cachent des propriétaires qui répondent à une demande croissante de meublés touristiques. Interrogé par Sputnik, Me Xavier Demeuzoy, avocat spécialiste en location saisonnière, qui représente 120 dossiers sur les 300 qui sont au tribunal face à la Mairie de Paris, nuance cette «victoire» de la ville.
Comme l’explique l’avocat, la CJUE a simplement indiqué que le texte national était conforme au droit européen: «c’est-à-dire qu’un État peut prendre une mesure un peu contraignante pour lutter contre la pénurie de logements au niveau national.» Toutefois,
«Quand on lit l’arrêt en détail, on se rend compte que la CJUE explique qu’il appartiendra à la juridiction nationale, donc notamment la Cour de cassation, de vérifier point par point les critères européens pour s’assurer qu’effectivement la réglementation parisienne est bien conforme au droit européen», analyse-t-il.
En conséquence, la Cour accorde, selon l’avocat, «des éléments de contrôle qui potentiellement pourraient censurer la validité du texte sur le modèle parisien et donc par définition toutes les assignations contre les propriétaires.»
Ce que vous dites n'est pas exact juridiquement ! La CJUE émet d'importants doutes sur la compatibilité du droit français au droit de l'Union mais renvoie cette question à l'appréciation du juge national.
— Victor Steinberg (@Steinberg_V) September 22, 2020
Il faut lire la décision : https://t.co/HsmXrp6Iim pic.twitter.com/6I1SErfKnz
Des précisions de taille. Et pour cause, la justice française devra par exemple «vérifier qu’il y a bien pénurie de logements destinés à la location de longue durée sur le territoire des communes concernées». Pour l’avocat, cela pourrait s’avérer compliqué:
«Lorsque j’ai des clients qui sont assignés dans le XIXe arrondissement de Paris pour des locations Airbnb, il va falloir que la mairie s’accroche pour démontrer la pénurie de logements dans cet arrondissement. Cela sera plus compliqué que le secteur au pied de la tour Eiffel», prévient Me Demeuzoy.
En outre, la municipalité va devoir également justifier le caractère «raisonnable, transparent et accessible» du mécanisme mis en place pour les résidences secondaires à Paris, mécanisme dit de «compensation». Un dispositif qui a pour but de mettre sur le marché un nouveau bien à la location classique en échange d’un bien mis en location courte durée.
Des propriétaires en colère
Par exemple, si un propriétaire souhaite louer sa résidence secondaire, l’autorisation de location ne lui sera délivrée que s’il achète un local commercial d’une surface équivalente. Un bien qu’il devra transformer en habitation afin de compenser la «perte de logement». Au vu des prix de l’immobilier, ce mécanisme peut s’avérer particulièrement dissuasif. D’ailleurs, Me Demeuzoy rappelle que lors d’une interview donnée à BFMTV, Ian Brossat, interrogé sur ce point, a effectivement concédé qu’il était «compliqué à mettre en place». Un état de fait néanmoins assumé par le maire adjoint de Paris chargé du logement.
Airbnb salue une clarification des règles
Du côté des propriétaires, cette décision de la CJUE a un goût amer. C’est le cas pour le Club de la communauté Airbnb de Paris, collectif qui regroupe des hôtes Airbnb, qui regrette la guerre menée par la Mairie de Paris «contre le pouvoir d’achat des Parisiens et contre le droit de propriété», indique-t-il sur Twitter.
.@IanBrossat non, vous menez une guerre contre le pouvoir d'achat des Parisiens et contre le droit de propriété @UNPI_FR. Si ce n’était pas le cas, pourquoi persistez vous à vous attaquer a ceux qui louent leur résidence principale? (1/2) https://t.co/6yMoihUfl3
— Club de la communauté Airbnb de Paris (@airbnbclubparis) September 22, 2020
Me Demeuzoy observe que l’incompréhension prévaut chez ses clients, d’autant plus, que «pendant 30 ans il n’y avait aucun problème avec cette réglementation» rappelle-t-il.
«Pour eux, la mairie se trompe de cible. Ils ont juste le sentiment d’exercer leur droit de propriété, de faire marcher l’économie en rénovant leur appartement, en payant des impôts, en payant des taxes à la mairie de Paris, de permettre aux touristes de rester à Paris, parce que les hôtels sont hors de prix ou complets.»
La capitale française paradant régulièrement en tête des classements des villes touristiques les plus visitées au monde, l’heure serait donc logiquement à l’apaisement.