Nicolas Maduro, coupable de «possibles crimes contre l’humanité»? C’est ce qu’affirme un rapport rédigé par des enquêteurs de l’Onu, qui déclarent avoir de «bonnes raisons de penser que le Président» du Venezuela, ainsi que ses ministres de l’Intérieur et de la Défense «ont ordonné ou contribué à commanditer les crimes avérés».
Ainsi, la «Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la République bolivarienne du Venezuela» de l’Onu accuse-t-elle Caracas de «meurtres arbitraires» et de «l’usage systématique de la torture», qui tomberaient «sous le coup de crimes contre l’humanité». Ces actes seraient «loin d’être isolés» et «commis au nom de directives d’État en connaissance de cause et avec le soutien direct d’officiers supérieurs et de hauts responsables du gouvernement», poursuit le rapport de 411 pages. Exigeant l’ouverture d’enquêtes immédiates auprès des autorités vénézuéliennes, les auteurs du rapport estiment que d’autres instances, telles que la Cour Pénale internationale, devraient aussi «considérer des poursuites judiciaires» contre les responsables.
Un document qui jette un pavé dans la mare latino-américaine, alors que les élections législatives du 6 décembre semblaient représenter la première étape d’un retour relatif à la vie démocratique, avec la participation de certains membres de l’opposition.
«Violence endémique au Venezuela»
Interrogé par Sputnik, Maurice Lemoine, spécialiste de l’Amérique latine, se montre aussi sceptique, pointant des chiffres dans le rapport qu’il juge «incohérents». L’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et auteur de Venezuela, Chronique d’une déstabilisation (Éd. Le Temps des Cerises) rappelle que le quotidien Le Monde évoquait dans ses colonnes le 4 octobre 2019 le chiffre de 18.000 exécutions extrajudiciaires au Venezuela depuis 2016, citant également un précédent rapport de l’Onu. Un élément encore plus important et qui semble passé sous silence, c’est de savoir qui sont les victimes de ces «crimes».
S’il n’est pas étonné par ces chiffres, le chercheur Thomas Posado, docteur en science politique à l’Université Paris VIII et spécialiste du pays, estime quant à lui qu’il ne s’agit pas principalement de «répression politique», mais surtout d’une «répression de la délinquance». Celle-ci serait pratiquée par un corps de police, les FAES (Forces d’actions spéciales) qui ne sont «contrôlées par aucune institution étatique».
«Il y a une lecture qui me semble assez biaisée, c’est-à-dire de dépeindre la situation comme s’il y avait 5.000 assassinats politiques au Venezuela […] Comme on a laissé carte blanche à ces groupes-là, dans le lot il y a de vrais délinquants qui ne sont pas jugés et qui sont directement passés par les armes.
Il existe aussi des dégâts collatéraux, c’est-à-dire des personnes qu’on croit être des délinquants et qui n’en sont pas finalement […] La proportion des opposants politiques est largement minoritaire par rapport à ces personnes de droit commun qui se retrouvent en fait sans procès […]
Il y a une violence endémique au Venezuela. La manière de gérer du gouvernement est d’essayer de terroriser ces personnes-là, y compris au prix de plusieurs milliers de morts.»
En 2019, Michelle Bachelet, Haut-commissaire de l’Onu aux droits de l’homme, avait ainsi appelé à la dissolution des FAES. Un climat d’extrême violence corroboré par Maurice Lemoine, qui évoque la présence de «bandes armées» et d’affrontements «extrêmement sérieux avec les forces de sécurité». S’il ne nie pas «des bavures», il rejette en bloc les lourdes accusations onusiennes d’une politique d’État «de violations massives des droits de l’homme»:
«Pour le coup, je mets ma main au feu en tant que journaliste. Maduro n’a pas donné l’ordre d’exécuter des opposants politiques, sinon Guaido serait mort depuis longtemps. Si Guaido faisait le même cirque en Colombie comme il le fait au Venezuela, il aurait déjà pris une balle dans la tête depuis un an. Tout ça n’est pas raisonnable.»
Thomas Posado se montre davantage nuancé, estimant qu’il est certain que le successeur d’Hugo Chavez au Palais de Miraflores est «au courant de l’ampleur de cette répression». Ce qu’il juge nouveau dans le document, c’est en effet sa mise en cause directe, qui aurait exigé une «enquête sur place».
Une «opération politique»?
Difficile donc selon le journaliste d’accorder de la crédibilité à ce rapport. Notre interlocuteur rappelle d’ailleurs la récente visite à Caracas de l’ancienne présidente chilienne, Michelle Bachelet, désormais fonctionnaire à l’Onu, qui a annoncé le renouvellement de l’accord de coopération entre l’organisation internationale et les autorités vénézuéliennes. Des «luttes d’influence» auraient donc lieu à Genève.
La Haut-Commissaire de l'ONU, Michelle Bachelet, reconnaît les progrès de la coopération technique avec le Venezuela sur les droits de l'homme https://t.co/5XSFGIrjMP
— Ambassade du Venezuela en France (@EmbaVEFrancia) September 16, 2020
Thomas Posado confirme ainsi l’éventualité de «biais» et d’une politique à «géométrie variable» à l’Onu, notamment lorsqu’il s’agit de la guerre au Yémen menée par l’Arabie saoudite. Maurice Lemoine, lui, ne craint pas de dénoncer une véritable «opération politique»:
«L’objectif, c’est d’empêcher à tout prix les élections législatives du 6 décembre prochain, et on le voit avec la réaction de l’opposition […] Observez celle de Maria Corina Machado, à l’extrême droite, qui réclame une intervention militaire des États-Unis. Celle-ci déclare que l’Union européenne ne peut pas cautionner l’élection du 6 décembre, ne peut pas soutenir un dialogue et les élections, alors même que l’Onu dénonce des violations massives des droits de l’homme au Venezuela.»