«C’est ce que vous devez savoir de l’enfance contemporaine», se défend la réalisatrice de Mignonnes, Maïmouna Doucouré, dans une tribune pour The Washington Post.
Pour des sénateurs républicains, le principal reproche à son film, traduit comme Cuties et portant sur l’enfance d’une fillette franco-sénégalaise dans les conditions d’une famille autoritaire, de la tyrannie de l'apparence et de la pression des réseaux sociaux, consiste en l’«hypersexualisation» des enfants, les critiques allant jusqu’à le comparer à de la «pornographie juvénile», qui est «illégale aux États-Unis».
#CancelNetflix
C’est ainsi qu’a réagi DeAnna Lorraine, ex-candidate républicaine en Californie pour un siège à la Chambre des représentants, se joignant à la campagne #CancelNetflix (supprimer Netflix).
Child pornography is illegal in America. #CancelNetflix
— DeAnna Lorraine 🇺🇸 (@DeAnna4Congress) September 10, 2020
Des internautes, parmi lesquels des sénateurs, appellent à boycotter la plateforme de streaming pour avoir mis en ligne ce film français. Netflix s’est déjà retrouvé sous le feu de critiques en diffusant une affiche, ce pour quoi il a choisi de s’excuser. Mais la rage ne semble pas s’éteindre.
Une pétition appelant à supprimer Netflix a récolté plus de 650.000 signatures. Josh Hawley, sénateur républicain du Missouri, a adressé une lettre ouverte à la plateforme disant que la diffusion du film soulevait «des questions majeures sur la sécurité des enfants et leur exploitation».
NEW — U.S. Senator Josh Hawley has sent a letter to @netflix calling for the immediate removal of "Cuties," a new film that depicts preteens engaged in sexually explicit dance routines that raises major questions of child safety and exploitation. https://t.co/cHKlBHaZtx pic.twitter.com/dk1rH40Pui
— Senator Hawley Press Office (@SenHawleyPress) September 11, 2020
Le sénateur Ted Cruz, qui n'a pas vu le film, s’est dit préoccupé par de possibles infractions aux lois protégeant les mineurs. Pour le sénateur Tom Cotton, «Netflix devrait être poursuivi» en justice, puisque «si ce n'est pas de la diffusion de pédopornographie, ça n'en est pas loin».
La question reste pourtant: comment lancer un dialogue sur l’hypersexualisation sans la montrer?
«Cri d’alarme»
Maïmouna Doucouré confie s’être inspirée d’une scène de danse de filles de 11 et 12 ans qui l’a rendue un jour «estomaquée» par les mouvements «dignes des clips américains». Elle s’est posé la question si elles comprenaient ce qui se passait avec leur féminité. Elle a eu une centaine de conversations avec des préadolescentes d’où est né finalement le film qui a reçu un prix de réalisation au prestigieux festival américain de Sundance.
«Pendant la préparation, j’ai vu des filles de 13 ou 14 ans suivies par 400.000 personnes, juste parce qu’elles postent des photos d’elles en string. Ça implique une nouvelle forme de construction de l’estime de soi, très fragile, fondée sur du virtuel, un nombre de likes ou de followers. Mignonnes est un cri d’alarme», a déclaré la réalisatrice et écrivaine à Paris Match.
Les mannequins et influenceuses sur les réseaux sociaux ont un effet dangereux sur la psyché des jeunes filles et garçons. Par ailleurs, le message transmis atténue la réalité:
«Il y a des choses que je n’ai pas osé filmer. Pour ne pas effrayer les parents», a ajouté Maïmouna Doucouré.
«Vies gênantes»
Elle voulait mettre en scène cette tendance «dans l’espoir d’entamer un dialogue sur la sexualisation des enfants. Le film a certes ouvert un débat, mais pas celui que j’espérais».
«Des gens ont trouvé certaines scènes de mon film gênantes à voir. Mais si l’on écoute vraiment les filles de 11 ans, ce sont leurs vies qui sont gênantes», écrit Maïmouna dans The Washington Post.
Netflix reste sur ses positions, l’ARP apporte son soutien
Netflix est finalement resté fidèle à lui-même, décision qui lui a coûté des désabonnements atteignant huit fois la moyenne quotidienne enregistrée en août après la diffusion du film.
Contactée par l’AFP, sa porte-parole a insisté que Mignonnes «est une chronique sociale contre la sexualisation des jeunes enfants» qui évoque «la pression à laquelle font face les jeunes filles, dictée par les réseaux sociaux et la société en général».
Pour l'ARP, société française représentant les auteurs, réalisateurs et producteurs, l’appel au boycott de Mignonnes est «une grave attaque contre la liberté de création».
«Ce film produit en France, puis acheté par Netflix pour sa diffusion aux États-Unis, est emblématique de l'indispensable liberté d'expression dont le cinéma, dans toute sa diversité, a besoin pour aborder des sujets dérangeants, donc nécessaires à l'exercice de la démocratie», a estimé l'ARP dans un communiqué.
Aux États-Unis, un soutien a été en outre apporté par l’actrice Tessa Thompson qui a considéré le film comme «magnifique» et s’est dite «déçue par le discours» qui le critique.
#CUTIES is a beautiful film. It gutted me at @sundancefest. It introduces a fresh voice at the helm. She’s a French Senegalese Black woman mining her experiences. The film comments on the hyper-sexualization of preadolescent girls. Disappointed to see the current discourse. 😞
— Tessa Thompson (@TessaThompson_x) August 20, 2020