Voilà bien un recrutement peu commun. Le géant du numérique Amazon, première capitalisation mondiale, a annoncé l’arrivée dans son conseil d’administration de Keith Alexander. Une figure controversée aux États-Unis, où il est resté un parfait inconnu jusqu’au tôlé planétaire provoqué par les révélations d’un de ses employés: Edward Snowden. L’ancien administrateur système, depuis réfugié en Russie, n’a d’ailleurs pas manqué de réagir à cette nomination en se fendant sur les réseaux sociaux d’un parallèle ironique entre son ancien patron et l’enceinte connectée Alexa.
🚨🚨 It turns out "Hey Alexa" is short for "Hey Keith Alexander." Yes, the Keith Alexander personally responsible for the unlawful mass surveillance programs that caused a global scandal. And Amazon Web Services (AWS) host ~6% of all websites. 🚨🚨https://t.co/6hkzsHjxh9
— Edward Snowden (@Snowden) September 9, 2020
En effet, si le produit phare d’Amazon suscite une certaine défiance, dans la mesure où Alexa est en mesure de transmettre aux employés du GAFAM toutes les conversations qu’elle perçoit, que dire de l’arrivée de cet ancien patron de la NSA?
Surnommé l’«empereur» du renseignement, ou plus sobrement «Alexandre le geek», ce général quatre étoiles qui «ressemble plus à un bibliothécaire en chef qu’à George Patton» a fait ses classes à West Point en compagnie de l’ex-directeur de la CIA David Petraeus (2011-2012) et de l’ex-chef d’état-major des armées des États-Unis Martin Dempse (2011-2015). C’est en 2005 qu’il est propulsé par Donald Rumsfeld, alors ministre de la Défense de George Bush, à la tête de l’agence de renseignement, un poste qu’il conservera pendant près d’une décennie. Un record.
D’«Alexandre le geek» à «empereur» du renseignement US
Alexander était pourtant mouillé jusqu’au cou dans le programme Stuxnet, qui visait à détruire les centrifugeuses iraniennes d’enrichissement d’uranium à Natanz grâce à un malware développé avec la CIA et les services israéliens. Une opération qui finira par infecter également des centrales nucléaires indiennes, indonésiennes, russes, allemandes et françaises. Mais c’est un autre scandale qui aura raison de lui.
«Jamais auparavant quiconque dans la sphère du renseignement américain ne s’était rapproché de son degré de pouvoir, du nombre de personnes sous ses ordres, de l’étendue de sa direction, de la durée de son règne ou de la profondeur de son secret», relatait en juin 2013 le magazine américain «Wired» dans un article particulièrement détaillé sur le parcours de cet individu que «peu d’hommes, même à Washington, reconnaîtraient».
Cet article était publié six jours après les toutes premières révélations d’Edward Snowden sur l’étendue de l’espionnage de masse mené par les États-Unis. Ce sont elles qui allaient entériner un scandale planétaire, la fin de l’anonymat pour le général Alexander et celle de sa carrière militaire, qui s’achève en 2014.
La même année, il fonde IronNet, une entreprise de cybersécurité qu’il continuera de co-présider tout en conseillant Jeff Bezos. Ce panel d’administrateurs où, fort de sa réputation, l’«empereur» du renseignement se démarquera sans mal, même au milieu d’anciens dirigeants de Pespi (Indra Nooyi) ou d’Apple (Jonathan Rubinstein).
En effet, l’attribution en début d’année à Microsoft de JEDI (Joint Enterprise Defense Infrastructure Project), un méga contrat de près de 10 milliards de dollars portant sur la modernisation des infrastructures numériques du Pentagone, a provoqué l’ire de Jeff Bezos, qui a engagé un bras de fer judiciaire sans merci avec la firme de Bill Gates. Réclamant que toute la lumière soit faite sur les conditions d’attribution de ce contrat, l’homme le plus riche du monde est même parvenu à faire geler les travaux par la justice. Reste à savoir quel rôle jouera une ancienne figure de la défense telle que Keith Alexander dans l’avenir d’une telle bataille.