«La guerre est finie, les fronts sont stabilisés. Si la Libye doit exister, il faudra négocier»

© REUTERS / Hazem AhmedManifestation anti-gouvernementale à Tripoli
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Après quatre jours de violentes manifestations, le Premier ministre du gouvernement de l’Est libyen a remis sa démission. Mais selon Pierre Vermeren, spécialiste du Maghreb, cette abdication n’est pas le fait de la vindicte populaire, mais plutôt de tractations internationales. Analyse.

Fin de partie pour Abdallah al-Thani, Premier ministre du gouvernement de Tobrouk, qui gouverne l’Est d’une Libye toujours coupée en deux. Ce dernier a présenté sa démission après la convocation urgente d’Aguila Saleh, chef du Parlement de Tobrouk.

​Ce désengagement intervient après près de quatre jours d’intenses manifestations de la population en Cyrénaïque, dénonçant la corruption active du gouvernement et la détérioration des conditions de vie. Les coupures d’électricité durant parfois 15h par jour, le prix du diesel a été multiplié par 13 et une corruption rampante à tous les niveaux sont quelques-uns des griefs qui ont poussé les habitants de l’Est libyen dans la rue.

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La rue a-t-elle repris ses droits sur ses gouvernants? «Difficile à dire», selon Pierre Vermeren, professeur d’histoire à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et spécialiste du Maghreb. Pour lui,

«Il y a un repositionnement entre les différents pouvoirs de Tobrouk. Il y a l’armée, le parlement et le gouvernement. Apparemment, le président du parlement, qui a été légitimement élu [Aguila Saleh, ndlr], qui a le soutien de l’Égypte, des puissances arabes et de quelques capitales occidentales est en train de mettre de l’ordre dans les affaires.»

Pour l’historien, qui rappelle qu’il y a «également eu des manifestations à Tripoli», les mouvements politiques à la tête du pouvoir sont plutôt pilotés par les puissances régionales, voire internationales.

«Le pays est en très grande difficulté, car il n’exporte plus de pétrole. Parallèlement à ça, on assiste à de grandes manœuvres avec les puissances régionales, notamment l’Égypte, donc je pense qu’il ne faut pas regarder ces évènements comme des relations normales entre un peuple et son gouvernement.»

En effet, les choses s’activent en coulisses. L’influent Aguila Saleh mène depuis plusieurs semaines d’intenses négociations avec toutes les parties prenantes au conflit. Son objectif? Parvenir à former un gouvernement d’union nationale, rétablir le conseil présidentiel et redistribuer équitablement les postes à la tête des institutions souveraines libyennes entre les trois régions qui forment la Libye: Tripolitaine, Fezzal et Cyrénaïque. Et surtout donner de la crédibilité à ce gouvernement, ce que n’a pas su faire Fayez el-Sarraj depuis Tripoli.

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Selon Pierre Vermeren, les récentes démissions et les nominations à venir sont surtout le fruit de ces négociations, et non d’une volonté populaire:

«Il faut plutôt le voir comme des repositionnements en vue d’une réconciliation, ou en tout cas en vue de tractations politiques entre le pouvoir de l’Est et le pouvoir de l’Ouest sous la houlette des Égyptiens.»

Pour lui, «la guerre est finie, les fronts sont stabilisés. La ville de Syrte ne pourra pas être conquise par Tripoli et ses alliés turcs. De même, Haftar et ses alliés ne prendront pas Tripoli ou Misrata. On est dans un statu quo et si la Libye doit exister, il faudra négocier, et je pense que c’est ce qui est en train de se mettre en place.»

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En attestent les récents efforts de médiation du Maroc et de l’Égypte, qui ont convié les frères ennemis à la table des négociations.

«On voit que le camp arabe essaye de mettre de l’ordre dans les affaires libyennes», estime Pierre Vermeren.

De toute façon, il n’y a pas mille chemins pour aller de l’avant, rappelle l’historien. Compte tenu du statu quo militaire, «soit la Libye est coupée en deux, soit il y a une réconciliation», souligne-t-il.

«La réconciliation est presque obligée, car le pétrole se trouve essentiellement dans le Centre et l’Est, alors que la majorité de la population se trouve à l’Ouest. Et si la population à l’Est pourrait se contenter de vivre sous le protectorat de l’Égypte, l’Ouest n’acceptera jamais de devenir un pays pauvre qui dépend entièrement de la Turquie.»

En Libye comme ailleurs donc, la Turquie demeure «la grande inconnue»: comment Erdogan réagira-t-il, après avoir perdu, comme le relève Pierre Vermeren, «beaucoup d’hommes et d’argent»?

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