Repli identitaire, discours tribal… le Cameroun à la croisée des chemins

© AFP 2024 FRED DUFOURUne patrouille sur les routes du Cameroun
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Déjà déchiré par des crises protéiformes, le Cameroun doit aussi faire face au problème identitaire. Le débat sur les notions d’allogène et d’autochtone divise de plus en plus dans l’opinion. Des discours aux relents tribalistes qui menacent sérieusement la cohésion nationale, alors que la stabilité même du pays ne tient plus qu’à un fil.

Le Cameroun court-il tout droit vers des affrontements intercommunautaires? Alors que le pays est déjà traversé par un violent conflit meurtrier dans ses régions anglophones et que le discours de la haine et de la division bat son plein depuis la présidentielle d’octobre 2018, le repli identitaire est désormais un sentiment que partagent nombre de Camerounais.

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À travers le territoire, de plus en plus de personnes se présentant comme natives d’une localité sont hostiles à celles qui sont issues d’autres régions. Leurs revendications vont de la primauté pour certains postes de responsabilité à la priorité quant à l’occupation des terres.

En témoignent, pour le dernier cas en date, les populations du quartier Besseke à Douala, qui ont manifesté vendredi 4 septembre contre la désignation par le préfet de la ville d’un chef allogène de troisième degré, à la tête de leur quartier. Le chef en question? Camille Amadou Tanko, originaire de la partie septentrionale du pays. 

Plus tôt, en août dernier, une affaire foncière dans le sud du pays avait vite dégénéré en crise identitaire. Les populations de cette région s’insurgeaient contre la constitution par l’État, depuis 2012, d’une réserve d’environ 66.000 hectares sur leurs terres ancestrales. La révélation de l’attribution de 26.000 hectares de cette réserve à un homme d’affaires originaire de l’ouest du pays a suscité une levée de boucliers de la part de cette opposition. Des voix se sont élevées pour exprimer un mécontentement général contre ce que d’aucuns ont qualifié «d’accaparement de leur terre par des étrangers».

Face à la grogne populaire, le gouvernement a dû suspendre le contrat de bail provisoire de cet industriel.

Le terrain fertile des réseaux sociaux

Des cas parmi tant d’autres qui agitent le spectre d’une désintégration du pays et font craindre le pire. Sur fond de repli communautaire et de rivalités régionalistes, les Camerounais se séparent chaque jour un peu plus et des phrases comme «Rentrez chez vous» ont fait irruption dans les discussions sur les réseaux sociaux et dans la rue.

Pour Robert Mouthe Ambassa, militant du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), parti au pouvoir, les «petites tensions tribales ont toujours existé depuis la nuit des temps».

«La seule différence aujourd’hui est due à la rapidité avec laquelle l’information est diffusée au travers des réseaux sociaux. Néanmoins, quand je sors dans la rue, je ne vois pas de tribalisme. Les Camerounais vivent sans problème», nuance l’homme politique au micro de Sputnik.

Désormais, il suffit de parcourir le fil de l’actualité sociopolitique au Cameroun pour se rendre à l’évidence: on assiste à une montée virale des discours de haine et de division au sein des groupes et forums camerounais, extrêmement nombreux sur les réseaux sociaux. Des discussions et échanges qui virent facilement aux dérives langagières avec, en toile de fond, des propos haineux ou tribalistes.

Si des sanctions ont été régulièrement brandies par les organes de régulation pour rappeler à l’ordre les médias traditionnels, les réseaux sociaux, eux, échappent encore au contrôle. Ils sont donc devenus un terrain fertile pour les propagateurs de propos haineux.

«La prolifération des réseaux sociaux au Cameroun s’est faite sans filtre. Les violences verbales s’y sont multipliées avec pour principale expression la montée d’un discours d’exclusion de l’autre, à cause de son ethnie, de sa tribu, voire de sa région d’origine. La dernière élection présidentielle, en raison de son caractère très clivant, a contribué à dresser des frontières en encourageant le repli tribal et le refus de l’autre comme possible lien entre moi et autrui. Tous les candidats, sans aucune exception, ont versé dans ce refus de l’autre», a expliqué à Sputnik le sociopolitologue Vincent Sosthene Fouda,

À qui profite le repli identitaire?

Depuis l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun, on assiste à une résurgence de la rhétorique ethnique et à un regain de tribalisme parmi les Camerounais. Les dérives se sont multipliées avec souvent, sur le banc des accusés, les hommes politiques à qui l’on reproche d’instrumentaliser les masses.

Pour Robert Mouthe Ambassa, il s’agit de quelques «politiciens et élites incompétents» en quête de visibilité. Dans les rangs du SDF (Social Democratic Front), parti d’opposition, Jean Robert Waffo pointe du doigt les manœuvres du pouvoir de Yaoundé, décidé à «diviser pour mieux régner».

«Le tribalisme est instrumentalisé par ceux qui nous gouvernent car leur stratégie, c’est diviser pour mieux régner. Les Camerounais, dans leur immense majorité, ne sont pas tribalistes, ils se côtoient allègrement dans les quartiers sans qu’il y ait de revendication identitaire exacerbée. C’est le pouvoir en place qui alimente ce repli pour détourner les citoyens de leur condition marquée par la mal-gouvernance et la survie», argue-t-il au micro de Sputnik.

Manipulations politiques ou non, le réflexe tribaliste s’est généralisé et a progressivement pris racine dans le comportement de certains Camerounais.

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Ce qui fait craindre l’ouverture d’un autre conflit sur les sentiers de la division ethnique, au moment où le pays traverse déjà une violente crise dans ses régions anglophones. «Si on n’y prend pas garde, on peut arriver à des affrontements tribals», estime Philipe Nanga, coordonnateur de l’ONG Un monde à venir basée à Douala.

«Si cet état de fait n’est pas contrôlé, cela peut effectivement se produire. Si les politiques s’en mêlent davantage en armant mentalement leurs territoires qui sont très souvent ethnicisés, on peut se retrouver dans des situations où ces militants en viendront aux affrontements physiques. Il faut craindre que cela puisse arriver même s’il y a peu de chances que cela prospère, vu notre brassage culturel. Mais il faut rester vigilants», avertit l’acteur de la société civile au micro de Sputnik.    

Alors que le pays traverse déjà de nombreuses crises, la bataille pour la succession de Paul Biya, 87 ans dont 38 au pouvoir, nourrit les fantasmes des élites politiques de diverses régions qui usent de tous les stratagèmes pour parvenir à leurs fins. Dans cette guerre de positionnement, le recours au discours communautaire semble être une arme de prédilection pour les protagonistes. Tensions ethniques et inquiétudes politiques, la cohésion nationale déjà mise à rude épreuve survivra-t-elle à toutes ces batailles?

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