Entre l’ex-espion Jacques Baud et le site Conspiracy Watch, qui est vraiment complotiste?

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Le site Conspiracy Watch a attaqué en règle Jacques Baud, ex-agent secret suisse et son intervention sur RT France. Il serait coupable de propager des «théories du complot» sur les fake news diffusées par les pays occidentaux. Retour sur une polémique qui dévoile, au-delà des anathèmes, une lutte idéologique féroce.

Sur le banc des accusés, Jacques Baud. À l’occasion de la publication de son livre Gouverner par les fake news –conflits internationaux, 30 ans d’infox par les pays occidentaux (Éd. Max Milo), l’ancien agent des services de renseignements suisses a accordé plusieurs interviews, notamment à TV Libertés, Le Media, RT France et Sputnik. Il y a détaillé les nombreuses contre-vérités, les bobards utilisés par les pays occidentaux, notamment pour justifier leurs guerres. Un véritable pamphlet contre les services de renseignement, diplomates, politiques et médias.

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Il aura fallu attendre son passage dans l’émission Interdit d’Interdire, de Frédéric Taddeï, pour qu’il soit épinglé par la patrouille, en l’occurrence le site Conspiracy Watch. Ce dernier a publié le 7 septembre un article signé Antoine Hasday et intitulé «Sur RT France, Jacques Baud coche toutes les cases du conspirationnisme géopolitique». C’est donc chose faite, le colonel suisse est désormais catalogué «complotiste» par ce média qui se targue d’être l’Observatoire du conspirationnisme.

«Des attaques sommaires et mal documentées»

Au téléphone, le colonel Baud confie être «déçu» par la «mauvaise qualité» de l’article. Après l’écriture de ce livre, l’ex-espion admet s’être attendu à des critiques détaillées, des argumentaires «approfondis», non pas à des «attaques aussi sommaires et mal documentées». Dans sa charge contre Baud, le journaliste Antoine Hasday s’est concentré sur trois angles d’attaque: le Darfour, les opposants politiques en Russie, le conflit syrien et la responsabilité des attaques chimiques qui l’ont émaillé. Jacques Baud évoque ainsi le cas emblématique du bombardement de la Ghouta le 21 août 2013, parlant d’une implication des rebelles, ce que conteste avec véhémence le journaliste:

«Ces affirmations ont été battues en brèche depuis longtemps. Restent les faits: une zone tenue par les rebelles syriens a été bombardée au sarin à l’aide d’une arme chimique correspondant à l’arsenal du régime syrien, alors que cette zone se trouvait bel et bien à portée des positions du régime syrien. Tout porte donc à penser que le régime syrien est responsable de cette attaque.»

Pour Jacques Baud, les «faits» sont plus complexes et battent en brèche la «version officielle»: il affirme que la «signature» du produit toxique utilisé à la Ghouta ne correspond pas aux armes stockées par l’armée syrienne. Il déclare de plus que les missiles employés par Damas n’avaient pas la portée suffisante pour frapper la zone.

Celui-ci reproche ainsi à Conspiracy Watch de ne pas avoir lu son livre et d’avoir écrit cette attaque ad personam sur la base de cinquante-deux minutes d’interview, dont le site aurait utilisé des extraits décontextualisés, employant ainsi des mécanismes propres aux… complotistes. Ainsi, quand il évoque le conflit du Darfour, Jacques Baud affirme avoir compté 2.500 morts violentes sur deux ans. Ce qui correspond approximativement aux chiffres avancés par le gouvernement soudanais qui donne environ 10.000 morts sur cinq ans (2003-2008).

Bataille de chiffres et de sources

Le site anti-conspirationnisme réfute ce comptage en se basant sur l’ouvrage de Gérard Prunier, Darfour: Un génocide ambigu (Éd. La Table ronde), qui estime à 400.000 le nombre total de victimes du conflit, une notion plus difficile à définir et jamais vraiment quantifiée, puisqu’elle comprend aussi les personnes décédées des suites de malnutrition, de maladie, etc. Une notion bien différente, donc, du seul nombre de morts violentes.

«Leur attaque a la même architecture que le conspirationnisme, c’est-à-dire en prenant des éléments d’information qui sont vrais, mais qui sont assemblés de telle manière qu’ils apparaissent comme étant considérablement exagérés», riposte l’ancien agent.

Usant à satiété de termes effrayants tels que «révisionniste», «foire aux complots», «désinformation», l’article étouffe le débat, excommuniant d’emblée son auteur. Sommé de se justifier, Baud estime avoir été «extrêmement soigneux» quant à la sélection des sources, éliminant dès le départ tout site conspirationniste et «tout ce qui était d’extrême gauche, tout ce qui était d’extrême droite». Ouvert au débat sur «tous ces sujets», l’ex-militaire suisse appelle toutefois ses contradicteurs à étayer solidement leurs affirmations et non pas à lui opposer «des grands titres de journaux».

«Ça n’est pas du vrai fact-checking, mais une manière de faire de la propagande en se donnant une belle apparence. C’est un habillage, mais en réalité […] Quand on veut lutter contre la conspiration, on doit être d’une énorme rigueur», rétorque-t-il à ses détracteurs.

Pour lui, il s’agit donc d’un texte «très clairement diffamatoire», qui semble tomber dans le piège des limites de l’anti-conspirationnisme professionnel, comme l’ont d’ailleurs analysé Marianne ou encore Le Monde diplomatique. Cité dans l’hebdomadaire, le politologue Julien Giry relève, à propos de Conspiracy Watch et de Rudy Reichstadt, son directeur, un mélange des genres douteux «d’agence de presse, de structure militante anti-complotiste et d’expert», dont le résultat ne serait «ni rigoureux ni neutre». Le journaliste du Diplo Benoît Bréville va même encore plus loin, évoquant davantage un «blog collectif» qu’un «quelconque observatoire». Ainsi, son enquête annuelle menée avec la Fondation Jean-Jaurès et l’IFOP, selon laquelle près de huit Français sur dix seraient complotistes, a-t-elle été critiquée pour sa méthodologie et ses biais problématiques

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Marianne pointait d’ailleurs en 2019 les biais idéologiques des sujets sélectionnés par le site, critiquant en effet Mélenchon, le Venezuela ou les complotistes au sein des Gilets jaunes. Alors que l’officine est bien introduite et écoutée dans les cercles du pouvoir, Jacques Baud insiste enfin sur les conséquences politiques de ce manque de remise en question.

Baud souhaite «inspirer un doute raisonnable»

Alors, qui a raison? Dénonçant les infox occidentales, le livre de Baud se voit donc accusé à son tour de diffuser des infox. Or, son essai Gouverner par les fake news ne prétend pas rétablir la vérité ni révéler des complots délirants sur la 5G ou les vaccins de Bill Gates conçus pour pister la population mondiale. En souhaitant «inspirer un doute raisonnable sur la manière dont nous sommes informés», Jacques Baud ne prétend pas s’ériger en parangon de la réalité, mais incite à prendre du recul sur quelques dossiers géopolitiques, à travers son expérience dans les services de renseignement.

«Mon livre n’a aucune intention de dire qui est fautif et qui ne l’est pas, si M. Poutine a raison ou pas raison, si M. Assad a raison ou pas. Ce n’est pas du tout le propos du livre. Mon propos est de dire que l’on juge et agit sur des éléments d’information qui sont très fragiles et souvent discutables.»

Appelant ainsi à ne pas se contenter de l’information «qui nous passe devant les yeux», le spécialiste des renseignements évoque un réel intérêt à creuser davantage ses sources.

«Ce qui m’a toujours surpris et déçu, c’est que l’on prend des mesures très dures, des sanctions, des embargos, des interventions, des frappes, sur des choses qui ne sont même pas établies. Si vous voulez croire que le GRU a éliminé Navalny, vous pouvez le croire. Ça ne me dérange pas. En revanche, si cela vous conduit à prendre des mesures politiques, c’est là où ça devient inquiétant.»

Mais peu importe pour Conspiracy Watch et son fondateur, «proche de la tendance vallsiste du PS» selon Marianne, qui refuse le débat et pour lequel «tous les complotismes se valent». Un procédé de renvoi dos à dos bien pratique pour clore toute discussion.

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