Journaliste infiltré dans la police: révélations choc ou recherche de sensationnel?

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Dans un livre intitulé «Flic», le journaliste Valentin Gendrot raconte ses deux années d’infiltration dans les rangs de la police française. Adjoint de sécurité dans un commissariat du 19e arrondissement, il révèle des faits jugés «illégaux» et pointe du doigt le racisme et l’homophobie qui selon lui gangrènent l’institution.

Violence, racisme, homophobie, rédaction de faux procès-verbaux… Le livre du journaliste Valentin Gendrot Flic, un journaliste a infiltré la police (Ed. Goutte d’Or), paru ce jeudi 3 septembre, ne manquera pas d’alimenter les polémiques récentes sur les violences policières en France. De septembre 2017 à août 2019, le jeune homme de 32 ans a ainsi infiltré la police nationale, devenant adjoint de sécurité au commissariat du 19e arrondissement.

Il raconte notamment les bavures et les dissimulations commises par ses collègues, auxquelles il a assisté. Morceau choisi, lors d’une altercation avec un mineur de 16 ans:

«Le flic met le premier coup, il n’en reçoit pas en retour mais en distribue un nombre considérable, insulte le gosse, l’embarque en garde à vue et le frappe encore à de nombreuses reprises. Ça s’appelle une bavure.» 

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Une «bavure» qui sera couverte par la hiérarchie du policier incriminé puisque le procès-verbal ne mentionnera jamais les violences commises à l’encontre du jeune garçon. «Ça, ça s’appelle un faux en écriture publique, c’est considéré comme un crime et c’est passible des assises et de 15 ans de prison ferme», dénonce Valentin Gendrot dans un entretien donné à Konbini le 3 septembre.

Du côté des syndicats, comment réagit-on à ces révélations qui viennent encore un peu plus fragiliser une police nationale déjà contestée, notamment à la suite des violences policières pendant la crise des Gilets jaunes? Michel Thooris, le secrétaire général du syndicat France Police, plutôt classé à droite, relativise la gravité des faits rapportés par Valentin Gendrot:

«Il est évident que compte tenu des millions d’interventions de police qu’il y a chaque année et des millions de procès-verbaux qui sont rédigés, il peut y avoir un cas sur un million d’un collègue qui n’aurait pas retranscrit avec fidélité ce qu’il s’est passé. Les forces de police travaillent dans le respect des procédures pénales. […] Ce livre a en réalité vocation à faire du sensationnel: quoi de plus facile que de diffamer la police nationale en l’accusant de tous les maux de la terre?», lance-t-il au micro de Sputnik.

Interrogé par nos soins également, Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat Vigi Police, tempère à son tour mais reconnaît des «dysfonctionnements graves»:

«Oui, ces pratiques existent et de manière trop nombreuse, mais par rapport aux 150.000 fonctionnaires de police en France, cela reste marginal. Il faut toutefois admettre qu’il existe des dysfonctionnements graves qu’il faut dénoncer.»

Injures racistes et délit de faciès

Le journaliste infiltré raconte également le «racisme» auquel il a été confronté. D’après lui, les «personnes noires, d’origine arabe ou les migrants» sont appelés par ses collègues policiers les «bâtards». Dans une interview donnée à Franceinfo ce vendredi 4 septembre, il dénonce le délit de faciès, une pratique courante pour les agents de police d’après lui:

«Un jour, on fait un contrôle routier. Deux jeunes hommes noirs roulent dans une Smart et un policier dit: "Eux on va les contrôler, il y a deux beaux bâtards à l'intérieur." C'est un exemple de racisme banal. On les a contrôlés et ils sont repartis puisqu'ils n'avaient rien à se reprocher. Mais ils ont été contrôlés juste parce qu'ils étaient noirs.»

Les pratiques relatées par Valentin Gendrot sont-elles pour autant «systémiques» dans la police française? Le syndicaliste Michel Thooris dément catégoriquement et pointe plutôt du doigt l’impunité avec laquelle les agents doivent composer:

«Tout cela est totalement faux! La police aujourd’hui est à l’image de la société française, elle est "black-blanc-beur". Il n’y a absolument aucun racisme au sein de notre institution. Il peut y avoir un jargon spécifique, mais qui est plutôt le fait de comportements criminels ou délinquants. L’expression de "bâtards" viserait plutôt des comportements délictuels auxquels la justice n’apporte aujourd’hui aucune réponse.»

Pour Alexandre Langlois en revanche, le racisme existe bel et bien au sein de la police, mais il est de nature «institutionnelle» et n’est pas directement imputable aux agents eux-mêmes:

«Le racisme institutionnel est toléré par les plus hautes instances de l’État. Dans la loi "Asile et immigration", je rappelle qu’on demande aux policiers de contrôler les gens sur leur "type étranger" : c’est bien l’État français qui demande aux policiers de faire de la discrimination au faciès. Il y a une protection de l’institution et des politiques qui se servent d’une minorité de policiers pour dire et faire n’importe quoi.»

Le «malaise» dans la police française

Mais Valentin Gendrot ne fait pas que dénoncer les dérives dont il a été témoin. Le journaliste infiltré rappelle également que la police est «la deuxième profession la plus touchée en termes de nombre de suicides», déplorant ainsi «59 cas de suicide» dans ses rangs en 2019. Il pointe également du doigt les «conditions difficiles» dans lesquelles les policiers exercent, le «matériel défectueux», «les commissariats vétustes», mais aussi la «grande coupure entre la hiérarchie et les policiers de tous les jours».

Un constat que partage également le syndicaliste Alexandre Langlois:

«On est complètement abandonnés. On a constaté une explosion du nombre de suicides quand M. Castaner est devenu ministre [de l’Intérieur, ndlr]. Et cela continue aujourd’hui avec M. Darmanin. La hiérarchie policière et politique est capable de protéger des choses ignobles comme dans les cas de racisme, mais lorsqu’il s’agit de protéger les effectifs dans leur bien-être et dans le sens de leur mission, il n’y a plus personne. M. Castaner avait mis en place un numéro vert, l’ancien directeur général de la police avait organisé des "barbecues conviviaux": on a affaire à des gens complètement déconnectés qui "comptent les cadavres" mais qui ne veulent surtout pas arrêter l’hémorragie.»

Michel Thooris, du syndicat France Police, va quant à lui encore plus loin et estime que les policiers sont aujourd’hui confrontés à une «perte de sens» dans la pratique de leur fonction, la faute à des intérêts politiciens tout-puissants, obsédés par une logique comptable de la police:

«Dans le cadre de la politique du chiffre, on met une pression considérable sur les policiers en quantifiant les interventions à mener, en orientant les policiers vers telle ou telle infraction, en fonction des besoins du moment du gouvernement en matière de statistiques et de communication. Tout cela crée évidemment une perte de sens pour les policiers, qui ne savent plus quelle est leur utilité réelle.»

Dans le même temps, on apprenait que la Préfecture de police de Paris avait saisi ce jeudi 3 septembre l’IGPN (la police des polices) concernant les «faits de violence» et les «agissements graves» rapportés par Valentin Gendrot dans son livre.

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