Trouver une photo ancienne d’une figure de l’histoire africaine ou des peuples noirs, la sortir de son contexte en lui attribuant une légende dans le but de faire rire sa communauté, c’est le nouveau challenge à la mode sur les réseaux sociaux au Cameroun. Ces derniers jours, les internautes en ont fait une tendance devenue virale.
Lucas ONOMO premier camerounais à avoir emprunté la chambre de son ami pour gérer une fille. pic.twitter.com/i8U9pXGGce
— Gniamoro 2.0🌹🔯 (@Un_Gar_Eton) August 25, 2020
Ces clichés en noir sur blanc parsèment les murs des abonnés sur Facebook, Twitter ou Instagram et le nombre de personnes reproduisant le challenge est toujours plus important.
Voici Ayo Ahanda le premier Camerounais à avoir dit qu’on va retirer le probatoire au Cameroun en 1885 pic.twitter.com/7GZ8FXD88Q
— Quentin Owona🇨🇲 (@QuentinOwona007) August 25, 2020
Si l’on ne saurait remonter au point de départ de ce nouveau phénomène, le principe est simple: trouver la légende la plus loufoque à attribuer à l’une de ces figures historiques.
Peut-on rire de tout?
Certains, motivés par le côté hilarant, se sont lancés à cœur joie dans le défi. Néanmoins, ces images ont rapidement suscité un véritable tollé sur les réseaux sociaux et de nombreux internautes ont pris la parole pour dénoncer ce qui s’apparente à une profanation de la dignité ancestrale. Des observateurs avertis comme Christian Tchamen, patron d’une agence de communication et de marketing digital, trouve inapproprié de «s’amuser à rire ainsi de nos aïeux».
«Nous ne devons pas tourner en dérision notre passé sous le prétexte de la recherche du buzz. Il s’agit de notre culture, de notre patrimoine, de notre histoire. Ces images devraient être utilisées afin de sensibiliser et d’éduquer sur notre passé commun», se désole-t-il au micro de Sputnik.
Un avis que partage Arol Ketchiemen, auteur camerounais de plusieurs ouvrages sur l’histoire africaine, parmi lesquels Surnom des hommes et femmes qui ont marqué l’histoire contemporaine de l’Afrique, édition La Doxa, 2017.
#1minutedupeuple: Depuis quelques jours nous faisons face à une épidémie de photos de nos valeureux ancêtres avec des légendes de railleries. Personnellement ça ne m’amuse pas !! Je n’aimerai pas voir la photo de mon arrière grand-père avec une légende :
— Emmanuel Messi (@EmmaMessii) August 27, 2020
Pour lui, ce «nouveau buzz» vécu sur les réseaux sociaux est «essentiellement puéril et a pour unique finalité de faire rire».
«Le rire doit être intelligent et doit se faire dans le respect. On a vu des humoristes faire de l’humour sur des sujets aussi sensibles que l’esclavage ou la Shoah. Tout est dans la manière et dans l’objectif», souligne l’écrivain au micro de Sputnik.
Si l’on peut rire de tout, encore faut-il faut trouver le bon angle.
Restaurer la mémoire historique
Contre ce challenge qu’ils jugent «sordide», certains internautes ont entrepris une campagne pour restaurer la réalité historique inhérente à ces photos. À grand renfort de publications, ils reprennent les images de ces figures emblématiques en les restituant dans leur contexte.
Un contre-challenge nécessaire, soutient Arol Ketchiemen, pour qui l’impact de ce phénomène peut être destructeur sur le long terme. Un tel défi, dénonce l’écrivain, «nous habitue à banaliser la profanation de la mémoire de nos ancêtres. Et pourtant, en Afrique, la mémoire des ancêtres est sacrée».
«Un phénomène similaire sur les juifs morts pendant la Shoah ne serait pas possible au risque de provoquer une indignation mondiale», précise ce passionné d’histoire.
Dans un pays où la conscience historique reste un luxe pour bon nombre d’individus et où certaines archives attendent toujours d’être déclassifiées, le phénomène contribue aussi, poursuit Arol Ketchiemen, «à abrutir considérablement le peuple».
«Même inconsciemment, certaines personnes peu renseignées peuvent associer les images de nos ancêtres véhiculées avec des légendes dégradantes qui les accompagnent à de la vérité. Abondamment relayées, celles-ci peuvent être mieux référencées sur Google que les originales», prévient-il, soulignant également la nécessité de «mettre au grand jour la véritable histoire de ces hommes et femmes dont les images ont été utilisées».
Si ce nouveau buzz sur la toile au Cameroun continue de faire des émules, il a eu le mérite de relancer le débat sur la nécessité d’enseigner l’histoire de l’Afrique afin de lutter contre les préjugés et les stéréotypes. Mais aussi, il permet de mettre en évidence le rôle joué par certaines figures emblématiques dans le passé du continent.