«Le Cameroun n’est pas le Mali», Yaoundé est-il vraiment à l’abri d’un soulèvement?

© AFP 2024 STRINGERLes partisans de Maurice Kamto, leader de l'opposition au Cameroun
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En menaçant d’appeler au soulèvement populaire en cas de tenue d’élections régionales avant le retour de la paix dans la partie anglophone et la réforme du code électoral, Maurice Kamto espère-t-il un scénario à la malienne au Cameroun? La question fait débat et alimente les fantasmes des opposants au pouvoir de Paul Biya.

Le scénario malien peut-il être transposé au Cameroun? Cette simple idée divise l’opinion et fait frémir le pouvoir de Yaoundé. En effet, au cours d’une conférence de presse le 24 août dernier, au lendemain de l’insurrection au Mali, l’opposant Maurice Kamto, le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), a menacé de provoquer un soulèvement populaire si Paul Biya persistait à tenir des élections régionales sans résolution de la crise séparatiste et sans réforme consensuelle du code électoral.

«Toute convocation du corps électoral par le gouvernement avant la résolution de la crise anglophone et la réforme consensuelle du système électoral actuel emportera automatiquement le lancement d’une gigantesque campagne nationale d’appel au départ pur et simple de M. Paul Biya du pouvoir», a déclaré l’opposant face à la presse.

Des préalables légitimes, à en croire Aristide Mono, politologue et enseignant à l’Université de Yaoundé 2, car ils pourraient réduire «les risques de crise postélectorale et l’amplification des frustrations du peuple camerounais des régions anglophones».

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«Maintenant, est-ce que la pertinence de ces préalables mérite un soulèvement populaire au cas où ces derniers ne seraient pas satisfaits? Sur ce point, il y a lieu de relativiser même s’il faut noter que la convocation d’élections régionales, sans traitement préliminaire des conditions portées par le MRC, ne sera, du point de vue des contestataires, que la goutte d’eau qui fera déborder le vase», commente l’analyste au micro de Sputnik.

Le scénario malien

En effet, quelques jours avant cette conférence de presse, réagissant au coup d’État au Mali qui a eu raison du pouvoir d’Ibrahim Boubakar Keita, Maurice Kamto, dans un communiqué, avait établi le parallèle avec le Cameroun. Le principal challenger de Paul Biya à la présidentielle de 2018 –dont il revendique toujours la victoire «volée»– constatait que ce putsch était survenu à la suite d’un mécontentement généralisé de la classe politique et des populations qui, outre l’insécurité, dénonçaient la corruption, la fraude électorale, etc.

«Toutefois, les événements en cours au Mali et les réactions qu’ils suscitent interpellent d’autres pays africains car les causes de ce coup d’État et l’attitude de la communauté internationale rappellent peu ou prou la situation qui prévaut ailleurs en Afrique, notamment Cameroun», prévient l’opposant.

Dans le pays, l’exemple du putsch malien nourrit les fantasmes des partisans de la révolution populaire au Cameroun. Pour Aristide Mono, le leader du MRC profite de «cette illustration africaine, qui est largement suivie au Cameroun, pour provoquer un effet de contagion local». Mais, souligne-t-il, «il s’agit au fond d’une réactualisation opportuniste d’un projet nourri et entretenu depuis 2018».

«L’idée de soulèvement populaire n’est pas nouvelle au MRC. L’alternance par la voie des urnes ayant été totalement disqualifiée par les militants de ce parti du fait, disent-ils, de l’arbitraire dans l’arbitrage du jeu électoral, ils misent depuis lors sur le changement populaire hors des isoloirs», commente l’analyste.

«Un scénario difficilement envisageable», argue pour sa part Yvan Issekin, politologue, soulignant toutefois que «l'évocation du cas malien apparaît comme une ressource symbolique mobilisée par Maurice Kamto pour imposer les imaginaires du putsch comme modalité de l'alternance au Cameroun», dit-il à Sputnik.

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Décryptant toutefois la situation malienne, certains hommes politiques au Cameroun comme Jean-Michel Nintcheu –député du Social Democratic Front (SDF), parti d’opposition– estime aussi que le Cameroun doit tirer des leçons de ce qui se passe actuellement au Mali. Pour lui, «le putsch au Mali est la conséquence directe de l’autisme et de la condescendance du régime d’Ibrahim Boubacar Keita».

«Le régime de M. Ibrahim Boubacar Keita l’apprend à ses dépens. Le Mali parle certainement au Cameroun», conclut l’opposant dans une déclaration publiée sur sa page Facebook.

Si le putsch malien du 18 août a résonné comme un coup de semonce en Afrique de l’Ouest, ces vibrations se sont fait ressentir au Cameroun. Les dernières déclarations de Maurice Kamto, appuyé dans sa démarche par d’autres opposants, suscitent une levée de boucliers dans le landernau politique local. Dans les rangs du parti du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, les cadres, militants et sympathisants se sont empressés de rappeler que «le Cameroun n’est pas le Mali».

Jacques Fame Ndongo, secrétaire national à la communication du RDPC, croit d’ailleurs savoir que le peuple camerounais «ne daigne guère se mettre en rébellion». Pour lui, Maurice Kamto persiste avec «sa politique fiction afin d’amuser la galerie».

Dans un autre message relayé sur les réseaux sociaux, Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du même parti, rappelle que le pouvoir «ne se prend pas dans la rue mais dans les urnes».

Alors qu'il ne revendique aucun élu après avoir boycotté les élections locales de février dernier, Maurice Kamto persiste dans son bras de fer avec le pouvoir de Yaoundé. Dans son plan de résistance, le leader du MRC a entrepris de mobiliser les acteurs politiques, de la société civile et de la diaspora.

Si pour certains, il s’agit d’un appel à «l’insurrection», ses partisans préfèrent y voir une invite à l’expression «des libertés d’opinion et de manifestation», ainsi qu’il est prévu dans la Constitution. Seulement, quelles sont les chances de réussite d’un tel appel à la mobilisation pour le départ de Paul Biya au pouvoir depuis 1982? «C’est là tout le débat, explique Aristide Mono. Lorsque l’on sait que le succès de ces opérations nécessite une adhésion massive de la population et surtout de l’appareil répressif de l’État, c'est-à-dire l’armée –qui s’est toujours positionnée au Cameroun comme protectrice de l’ordre au pouvoir.»

«L’armée camerounaise est-elle prête à ne pas mater par le sang toute expression populaire du départ du Président Paul Biya? Les protestataires sont-ils prêts, le cas échéant, à affronter l’armée? Voilà des questionnements qui devraient intéresser les analystes de ce projet du MRC», argue-t-il.

Si l’insurrection au Mali est source de convoitise pour certains Camerounais avides de changement, pour Yvan Issekin, l'idée d'un «soulèvement populaire initié par Maurice Kamto est difficile» au vu du «contexte local marqué par des tensions identitaires». Le tout en supposant acquise la capacité du premier opposant du Cameroun à mobiliser les foules par milliers. En d’autres termes, son aptitude à jouer les imams Dicko –du nom du leader religieux malien qui a pris la tête de la contestation populaire à Bamako. En a-t-il vraiment les moyens? Ses partisans se réfèrent volontiers au monde qu’il avait réussi à drainer pendant la présidentielle de 2018, à l’occasion de ses nombreux meetings, mais aussi après le scrutin, et ce jusque dans les régions septentrionales du Cameroun, pourtant présentées comme la chasse gardée du RDPC. D’ailleurs, depuis sa sortie de prison, les manifestations initiées par Maurice Kamto sont systématiquement interdites par le pouvoir de Yaoundé.

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En attendant l’issue de ce nouveau pugilat politique, le pays reste déchiré par de multiples crises dont la plus meurtrière demeure le conflit séparatiste dans sa partie anglophone. Dans l’attente d’une éventuelle alternance au sommet du Cameroun, chaque changement de régime par les urnes ou dans la rue sur le continent alimente toutes les formes de comparaison et suscite des analyses dans la classe politique camerounaise. Dans cet élan, l’Afrique de l’Ouest est généralement vue, en Afrique centrale et au Cameroun en particulier, comme une sous-région où les libertés fondamentales sont moins sujettes aux violations diverses.

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