Rentrée 2020: «La situation économique est sans précédent, il y a de quoi être très inquiet»

© AFP 2024 KAMIL ZIHNIOGLUEmmanuel Macron, entouré de son Premier ministre Jean Castex et du chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian
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Alors que le plan de relance doit être présenté le 3 septembre, Jean Castex craint que la crise économique et sociale «soit plus dangereuse» que l’épidémie elle-même. La France se dirige-t-elle vers un cataclysme? L’économiste Philippe Simonnot explique à Sputnik que le Premier ministre est encore loin du compte. Analyse-choc.
«Le pire de tout, c’est que l’on s’enfonce parce que l’on ne reprend pas l’activité dans une crise économique et sociale qui serait –les Français le sentent bien– beaucoup plus dangereuse que la crise sanitaire.»

Jean Castex, Premier ministre, avait le ton grave lors de son passage sur France Inter le 26 août. Le plan de relance d’un montant de 100 milliards d’euros, destiné à redresser l’économie française, sera annoncé le 3 septembre, avec une semaine de retard.

«Gouverner, c’est savoir s’adapter aux circonstances», a lancé le chef du gouvernement. Les circonstances économiques sont, elles, pour le moins moroses. Une situation que souligne au micro de Sputnik Philippe Simonnot, docteur en sciences économiques:

«C’est très préoccupant. Le virus a frappé à tous les niveaux. La situation économique est sans précédent, il y a de quoi être très inquiet.»

Bruno Le Maire a quant à lui confirmé le 24 août que la France accusera une chute record de son produit intérieur brut (PIB) en 2020: -11%.

Vague de faillites à venir

Pour l’INSEE, le choc sera un peu moins rude, anticipant une baisse de 9%. Comme le rappellent Les Échos, l’Hexagone n’est pas le plus touché économiquement au sein de la zone euro. Mais ses performances le placent en «queue du peloton», d’après le quotidien économique de référence: «Ainsi, le niveau du PIB au deuxième trimestre est inférieur de 15,3% à celui des trois derniers mois de l’an passé dans la zone euro, avant l’irruption de la pandémie. En France, le PIB est plus bas de 19% par rapport au quatrième trimestre de l’an passé, en Espagne, de 23% et en Italie, de 17%. L’Allemagne s’en sort mieux avec un repli de 12%.»

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Au deuxième trimestre, la chute a été vertigineuse. La sévérité d’un confinement instauré entre le 17 mars et le 11 mai a vu la fermeture des commerces non essentiels et l’arrêt de très nombreux sites de production. Le PIB français a subi un effondrement de l’ordre de 13,8% entre avril et juin. «Il s’agit du plus fort recul enregistré depuis la Seconde Guerre mondiale», a affirmé Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cité par Le Monde.

La France, pays très touristique et exposé à une industrie aéronautique à l’agonie, souffre beaucoup des effets de la pandémie de Covid-19. Et ce ne sont évidemment pas les seuls secteurs touchés. D’après la société Altares, spécialiste des données d’entreprises, la France s’apprête à faire face à une vague de faillites. Elle estime à plus de 60.000 le nombre de banqueroutes dans le pays entre juin 2020 et juin 2021.

Le timing est d’autant plus préoccupant que le gouvernement avait pris une ordonnance stipulant que toute entreprise qui n’était pas en cessation de paiement au 12 mars 2020 serait considérée comme ne l’étant pas jusqu’à la date du 23 août. Le filet de sécurité n’est plus. «On a artificiellement évité 10.000 défaillances avec l’activité réduite des tribunaux pendant le confinement, et surtout avec l’ordonnance prise par le gouvernement permettant de considérer que toute entreprise qui n’était pas en cessation de paiement au 12 mars serait considérée ne pas l’être jusqu’au 23 août. Une partie des entreprises était donc protégée», explique le directeur des études d’Altares aux Échos.

Pas de reprise?

Une vague de faillites aggraverait la situation sur un marché de l’emploi déjà fortement secoué. D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux de chômage pourrait atteindre les 12,3% fin 2020 en France. La Banque de France ne verse pas non plus dans l’optimisme et anticipe un taux de chômage supérieur à 11,5% en mai 2021.

Reste que dans le marasme économique, quelques bonnes nouvelles pointent à la surface. D’après la Banque de France, le niveau d’activité était de 7% inférieur à la normale en juillet contre 9% en juin. Il y a du mieux. Même si d’après une enquête de l’institut IHS Markit, le mois d’août a vu l’indice PMI, qui mesure l’activité manufacturière, descendre à 51,7 points contre 57,3 en juillet. Toutefois, il n’y a pas de véritable redressement économique en cours, selon Philippe Simonnot:

«La reprise dont certains observateurs parlent n’en est pas une. Nous assistons à une sorte de rebond automatique qui ne présage pas du tout ce qui nous attend.»

Autre éclaircie: un taux de chômage à nouveau en baisse en juillet. Le nombre de demandeurs d’emploi a diminué de 4,1%, soit 174.300 inscrits en catégorie A en moins. Selon les chiffres publiés par Pôle emploi le 26 août, la baisse s’explique par le retour de demandeurs d’emploi vers l’activité réduite (catégories B et C) qu’entraîne la reprise économique.

Là encore, Philippe Simonnot douche les espoirs des plus optimistes:

«La baisse du chômage est minuscule comparée à la vague qui va frapper.»

Le nombre de chômeurs reste d’ailleurs élevé. Les hausses vertigineuses entraînées par le confinement (+7% en mars, +22% en avril) n’ont toujours pas été rattrapées et le nombre de demandeurs d’emploi demeure toujours supérieur de 560.000 par rapport à la fin du mois de février. Du côté du moral des ménages, la situation se stabilise avec un indicateur affichant 94 au compteur en août. C’est mieux qu’en mai (92), mais cela reste en deçà de la moyenne de long terme qui est de 100.

«La France a besoin d’une véritable politique économique qui laisse plus de marge à l’initiative, à l’invention et à la recherche. Le contraire d’une économie administrée, surveillée et contrôlée comme celle qui est en place et que nous en sommes en train de perfectionner», estime Philippe Simonnot, auteur de Chômeurs ou esclaves: Le dilemme français (Éd. Pierre-Guillaume de Roux).

«À la faveur de la crise sanitaire, le poids de l’État dans l’économie va encore s’accroître et devenir insupportable», poursuit-il.

D’autant que les faibles signaux économiques positifs récemment enregistrés pourraient être balayés par une aggravation de l’épidémie de Covid-19. Les avis des spécialistes divergent sur le bien-fondé des craintes d’une deuxième vague, mais plusieurs d’entre eux pointent la multiplication de nouveaux cas.

La crainte du reconfinement

Plus de 3.000 ont en effet été enregistrés le 25 août, des chiffres qui se situent dans les mêmes valeurs que les jours précédents et représentent un niveau inédit depuis la fin du confinement. Le Premier ministre a d’ailleurs appelé le 26 août les Français «à l’esprit de responsabilité» concernant le port du masque.

Si, pour le moment, un reconfinement généralisé n’est pas à l’ordre du jour, des mesures locales commencent à être prises. C’est notamment le cas dans les Bouches-du-Rhône, département de Marseille, deuxième ville de France.

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À compter du 26 août à 23h00, le port du masque devient obligatoire dans l’espace public pour toute personne de onze ans ou plus sur l’ensemble de la commune de Marseille. Les restaurants, les débits de boissons et les commerces d’alimentation générale seront fermés tous les jours de 23h00 à 6h00 dans l’ensemble des communes du département des Bouches-du-Rhône. Un contexte qui inquiète patrons de bar et restaurateurs de la région, dont beaucoup peinent à se redresser après le coup de massue du confinement.

En juin dernier, Éric Heyer, directeur des prévisions à l’Observatoire français des conjonctures économiques s’exprimait dans les colonnes de La Dépêche. Il jugeait alors que l’éventualité d’un reconfinement général «serait catastrophique pour l’économie du pays». «On ne s’en relèverait pas, je pense. Mais je ne crois pas qu’on en arrive là. Je ne l’espère pas en tout cas», avait-il déclaré.

Même son de cloche du côté de Philippe Simonnot:

«Tout sera fait pour l’éviter. Au-delà de l’aspect économique, cela serait socialement insupportable. De plus, en cas de deuxième vague, nous disposons aujourd’hui d’outils [gestes barrières, généralisation des tests, etc. ndlr.] qui permettraient d’y faire face sans procéder à un reconfinement généralisé.»

En attendant, le 3 septembre verra donc la présentation du tant attendu plan de relance, d’un montant de 100 milliards d’euros, dont 40 pour la réindustrialisation du pays et 30 pour la transition écologique (dont une partie se recoupe avec le volet industrie). Philippe Simonnot s’inquiète de la direction économique choisie:

«Je redoute une ankylose. Prenons l’exemple du premier choc pétrolier au début des années 70. L’État français avait décidé de lancer le “tout nucléaire” poussé par les interventionnistes et ceux que je qualifiais alors de “nucléocrates”. Aujourd’hui, nous essayons de nous débarrasser du nucléaire à la faveur d’une autre idéologie, celle des “écolocrates”. À leur tour, je crains qu’ils poussent vers des investissements qui s’avéreront hasardeux avec le temps.»

Quatre à cinq milliards d’euros devraient être destinés à la modernisation thermique des bâtiments. Un point révélateur pour Philippe Simonnot, pour qui le choix du «tout nucléaire» a certes permis à la France de bénéficier d’électricité bon marché, mais a de ce fait poussé le pays à ne pas faire les efforts nécessaires concernant l’équipement des logements ou les problématiques liées à l’écologie.

​«Nous le payons aujourd’hui», se désole Philippe Simonnot. «Le drame de ce pays est sa volonté de ménager la chèvre et le chou. Je crains que la France reprenne de vieilles structures tout en investissant dans de nouvelles énergies ou moyens de transport qui nous pousseront à importer davantage», poursuit l’économiste, avant de conclure:

«Il y a une contradiction entre la volonté affichée de plus d’indépendance économique et celle de se lancer dans des aventures économiques que, au contraire du nucléaire dans les années 70, nous ne maîtrisons pas du tout.»
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