«Il faut épouser un Blanc pour améliorer la race»: au Mexique aussi, le racisme sévit

© AP Photo / Antonio CalanniUn fan mexicain
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Depuis la construction du mur à la frontière des États-Unis, les Mexicains sont souvent perçus comme victimes du racisme américain, mais qu’en est-il des discriminations au Mexique lui-même? Selon José Antonio Aguilar, directeur de l’ONG Racismo_MX, le pays n’a pas de leçon à donner aux États-Unis en la matière. Entretien.

La mort de George Floyd a relancé le débat sur le racisme dans le monde, notamment au Mexique, où ce thème peine pourtant à s’imposer dans le paysage médiatique. Le Mexique, un pays de 125 millions d’habitants, marqué par le racisme envers les Autochtones? Pour en savoir plus sur ce phénomène encore tabou, Sputnik s’est entretenu avec José Antonio Aguilar, directeur de l’organisme Racismo_MX, basé à Mexico.

Sputnik: Selon vous, comment le racisme se manifeste-t-il dans votre pays?

José Antonio Aguilar: «Le racisme mexicain se manifeste de diverses manières dans la vie nationale, sociale et privée. Dans la vie privée, le racisme commence dans la famille avec des phrases que l’on croit bien intentionnées. Par exemple, les grands-mères ont tendance à dire à leurs petites-filles “qu’il faut épouser un Blanc pour améliorer la race”. De même, lorsqu’un nouveau membre de la famille naît avec la peau brune, on dit “qu’il est foncé, mais beau”, en sous-entendant qu’il puisse faire exception à la règle qui associe laideur et teint foncé.

Dans la vie sociale, il est courant de trouver des restaurants et des bars au Mexique où les personnes à la peau brune ne peuvent pas entrer. De même, il est courant de constater que les services des ressources humaines des entreprises demandent aux gens une “bonne présentation” pour être embauchés, ce qui peut suggérer d’être Blanc. Enfin, au niveau national, on voit à quel point les personnes à la peau blanche sont surreprésentées dans les médias dans un pays où près de 90% des personnes ont la peau brune et ont un phénotype indigène.

Un autre exemple national est l’existence de lois et politiques publiques qui vont à l’encontre de certains groupes historiquement discriminés. Par exemple, il n’est pas normal que le système de justice soit uniquement administré en espagnol alors qu’il y a actuellement sept millions et demi de personnes qui parlent une langue autochtone. Cela désavantage clairement une grande proportion de peuples autochtones.»

Sputnik: En 2018, une polémique autour de l’actrice Yalitza Aparicio, du film oscarisé Roma, aurait révélé la persistance du racisme au Mexique. Est-ce exact? Que s’est-il passé?

José Antonio Aguilar: «Oui, le succès de Yalitza Aparicio, une actrice indigène de l’État d’Oaxaca, a fait que le racisme vécu chaque jour a été dévoilé dans les médias. La polémique a débuté quand un acteur de cinéma national, Sergio Goyri, a été enregistré lors d’un dîner en parlant négativement de Yalitza Aparicio, affirmant qu’elle n’était pas une vraie actrice, puisque son rôle dans le film avait simplement consisté à être elle-même.

Vie publique, entreprises, médias… du racisme partout?

Rappelons que le rôle d’Aparicio dans le film Roma était celui d’une domestique. Goyri ne savait probablement pas qu’Aparicio était institutrice avant de devenir actrice, mais l’acteur a immédiatement supposé qu’Aparicio était toujours une domestique en raison de son phénotype indigène (une idée coloniale). Le succès d’Aparicio a été tel que le bruit a couru que des actrices mexicaines (toutes Blanches) demanderaient à l’American Film Academy de ne pas lui décerner l’Oscar, prétextant qu’il n’était pas “juste” pour une nouvelle actrice de le gagner. Cet épisode a montré que l’élite des acteurs blancs mexicains n’est pas prête à accepter le succès d’actrices qui ne sont pas du même cercle et encore moins si elles étaient autochtones.»

Sputnik: Quelles sont les principales mesures que recommande votre organisme pour lutter contre ce que vous considérez comme du racisme?

José Antonio Aguilar: «La première étape consiste à informer et à conscientiser la population. Heureusement, il existe aujourd’hui de nombreuses ressources (vidéos, articles, livres…) qui touchent au sujet et qui sont rapidement accessibles via Google. L’apprentissage concerne à la fois les Blancs et les personnes “racisés” (non-Blanches).

Deuxièmement, il faut parler du phénomène avec notre famille et nos amis, car il s’agit d’un sujet encore tabou. Il y a de nombreuses idées fausses qui circulent sur le racisme, donc plus nous en parlons, plus nous générerons des connaissances à partir des expériences vécues.

Troisièmement, nous devons toujours dénoncer tout acte raciste dont nous sommes témoins ou dont nous sommes victimes. Au Mexique, il y a le Conseil national pour l’élimination de la discrimination (CONAPRED), par l’intermédiaire duquel nous pouvons déposer des plaintes pour discrimination raciale.»

Sputnik: Comment la société mexicaine en général a-t-elle réagi aux événements liés à la mort de George Floyd aux États-Unis?

José Antonio Aguilar: «Au Mexique, il y a cette idée fausse selon laquelle les Mexicains ne sont pas racistes: on raconte que le seul racisme réel est celui dirigé contre les Noirs aux États-Unis. Lorsque la mort M. Floyd a été annoncée dans les médias, de nombreux influenceurs (dont la plupart sont Blancs) ont rapidement publicisé leur soutien au mouvement Black Lives Matter. Cela a poussé certains citoyens à remettre en question l’honnêteté et la posture de ces influenceurs, car ces derniers reproduisent parfois certains schémas de pensée racistes à travers le contenu qu’ils publient.

Giovanni López Live Matter?

Quelques semaines plus tard, la police de la ville de Jalisco a abattu Giovanni López durant une interpellation, un maçon à faibles revenus, pour ne pas avoir porté de masque sur la voie publique en raison du Covid-19. Bien qu’il soit difficile de déterminer s’il s’agit d’un crime raciste, on peut se questionner sur les raisons de ce dénouement. Que se serait-il passé si López avait été Blanc et riche? À partir de là, nous avons commencé à parler davantage du racisme au Mexique, de ses origines, de sa dynamique et de ses différences avec le racisme américain. Depuis ces événements, on peut dire que les Mexicains semblent plus conscients du racisme chez eux et plus résolus à y mettre fin.»

Sputnik: Le Président mexicain, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), doit déjà faire face à une économie qui régresse, à l’épidémie de Covid-19 et à l’expansion du crime organisé. Dans ce contexte, le gouvernement a-t-il les moyens de lutter contre le racisme? Quelles sont les mesures prises par AMLO pour ce faire?

José Antonio Aguilar: «Oui, je pense que le Président AMLO en a les moyens et l’a déjà fait dans une certaine mesure, mais je crois qu’il manque encore de ressources et d’actions dans cette direction. Il y a encore du travail à faire. Un aspect positif de ce nouveau gouvernement est qu’il a fréquemment soulevé la question et le Président saisit chaque occasion pour évoquer ce grave problème social.

L’année dernière, le Président a annoncé l’instauration d’une politique grâce à laquelle les aînés autochtones auront accès à un soutier financer à un plus jeune âge que le reste de la population (65 ans contre 68 pour le reste de la population). Cette bonne volonté ne se retrouve cependant pas dans tous les domaines. Par exemple, la construction du train Maya (mégaprojet qui reliera la péninsule du Yucatán) a commencé bien que les peuples autochtones de la région ne soient pas consultés, comme le prévoit pourtant la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT).»

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