750 milliards d’euros de dette commune pour aider les Vingt-Sept à affronter la récession majeure liée à la pandémie de coronavirus: c’est le résultat, au cinquième jour de négociations, du plus long Conseil européen depuis vingt ans. Des fonds qui seront empruntés par la Commission sur les marchés financiers et reversés aux États sous forme de subventions, à hauteur de 390 milliards d’euros, et de prêts pour 360 milliards.
Pour autant, le maître de conférences à l’université d’Angers juge que les montants «ne sont clairement pas à la hauteur. Les fonds seront débloqués sur une période de sept ans et sont très faibles par rapport à la gravité de la crise». Membre du collectif des Économistes atterrés, David Cayla rappelle néanmoins qu’«il s’agit d’un plan de complément, en plus de ce que fait chaque pays de son côté. L’Allemagne a par exemple un plan très ambitieux, mais ce n’est pas le cas de tout le monde…»
Jour historique pour l’Europe !
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) July 21, 2020
Alors, rupture ou continuité dans l’histoire de l’UE? Si «cette européanisation de la gestion de la crise constitue bien une nouveauté, poursuit David Cayla, cela signifie que l’Union va devoir, d’une manière ou d’une autre, créer de nouvelles taxes pour avoir des ressources propres. Pas forcément un impôt européen qui concernerait les ménages, mais par exemple une taxe sur les transactions financières», précise l’enseignant-chercheur.
Cependant, «ces ressources propres n’existent pas pour l’instant, et il faut dire que c’est un peu particulier de vouloir dépenser avant de trouver les recettes !»
Co-auteur avec Coralie Delaume de 10+1 questions sur l’Union européenne (Michalon, 2019), l’économiste hétérodoxe note en revanche une continuité dans la logique de la construction européenne: «Pour recevoir ces fonds, les projets devront être validés par la Commission. Ce ne seront pas des “dons” aux pays membres, ils seront fléchés par Bruxelles. Les États devront donc respecter les règles budgétaires, appliquer les recommandations du Semestre européen. Cela va mener à un accroissement du contrôle des institutions européennes sur les politiques nationales».
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— David Cayla (@dav_cayla) July 21, 2020
Imaginez une institution qui emprunte quelques milliards d'euros par an et qui soudain décide d'emprunter 750 milliards sur les marchés financiers sans avoir déterminé précisément avec quelles recettes elle compte rembourser cet emprunt.
Autrement dit, «ce plan va accentuer les contraintes sur les pays voulant sortir du carcan néolibéral. Ce n’est donc pas un hasard qu’Angela Merkel ou Emmanuel Macron y soient favorables, ce sont des gens qui croient au bien-fondé de ces politiques», ironise-t-il.
«La crise de la dette privée peut être énorme»
Tandis que Christine Lagarde, la présidente de la BCE, salue «une UE qui se rassemble et progresse», David Cayla trouve paradoxal qu’un plan présenté comme solidaire «soit financé, précisément, par un affaiblissement de la solidarité européenne: les pays “frugaux” ont obtenu qu’on augmente les rabais de leurs contributions respectives à l’Union. On se retrouve avec les pays les plus riches qui vont bénéficier de décotes de leurs versements».
L’Économiste atterré craint surtout que «ces mécanismes de solidarité ne soient balayés par la crise qui vient. Je suis assez inquiet, confie David Cayla, au sujet de la solvabilité du système bancaire et financier: la crise de la dette privée peut être énorme. Au sein de l’UE, on a des pays créanciers et des pays débiteurs, donc une asymétrie entre les membres.»
«Si une crise financière majeure se produit, ce sera compliqué d’assurer la solidarité alors que les pays ont des intérêts différents».
Et de conclure: «Ce plan cherche à gérer les difficultés de l’économie réelle, mais il ne pourra pas juguler les problèmes de l’économie financière.»