Du rififi à l’Est. Le 10 juillet, le Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement russe a appelé le gouvernement à la mise en place de mesures de réciprocité à l’encontre des pays baltes, afin de réagir à l’interdiction de RT et Sputnik dans ces trois pays.
Le Conseil national letton des médias a fourni la même explication après avoir visé sept canaux de RT dans ce pays. De son côté, Kisselev s’est gaussé de cette annonce, selon lui, indice «du niveau de stupidité et d’ignorance des autorités lettones, aveuglées par la russophobie».
Ces oukases de Riga et de Vilnius, respectivement 22e et 28e au classement de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières, ne sont ainsi pas nouveaux au sein des pays baltes à l’encontre de médias russes. En décembre 2019, le gouvernement estonien avait intimé l’ordre aux journalistes de Sputnik Estonie de cesser toute activité professionnelle, les menaçant de poursuites pénales, déjà sous le prétexte des sanctions européennes contre la Russie. C’est pourquoi le ministère russe des Affaires étrangères a dénoncé un harcèlement qui «illustre clairement ce que deviennent dans la pratique les déclarations démagogiques de Vilnius, Riga et Tallinn, à propos des principes démocratiques et de la liberté d’expression.»
«Un acte de censure pure et simple»
La Fédération internationale des journalistes a également réagi à cette interdiction, par la voix de son secrétaire général, Anthony Bellanger, qui a déclaré que celle-ci «viole la liberté de la presse, le droit des citoyens au pluralisme des médias, c’est donc un pur acte de censure». La FIJ a ainsi demandé la levée «immédiate» de ce bannissement. Contacté par Sputnik, Claude Chollet, président de l’OJIM (L’Observatoire du journalisme) confirme:
«Il s’agit d’un acte de censure pure et simple. Si on interdit RT ou Sputnik dans les pays baltes, à ce moment-là, il faudrait interdire la BBC qui est quand même directement financée par le gouvernement britannique. Il faudrait interdire TV5 Monde qui est aussi une chaine étatique. Il faudrait aussi interdire Arte, parce que Arte, c’est la France et l’Allemagne. Oui, ce sont manifestement des actes de censure.»
Une censure à ne pas confondre avec l’autocensure qui, selon celui-ci, est «la plus répandue» et «qui est à la limite la pire parce qu’elle est silencieuse, incolore. On ne la voit pas».
«C’est celui qui va fouiner, celui qui va trouver des choses, qu’éventuellement un certain nombre de personnes et en particulier les institutions officielles, celles qui ont le pouvoir, n’ont pas trop envie qu’elles soient connues. Un journaliste doit être un danger. Entendons-nous bien, ça ne veut pas dire qu’il doit inventer des choses, surtout pas. Mais il doit être capable de révéler des faits que certains ont intérêt à mettre sous le tapis.»
Il replace cette escalade de tensions dans un contexte géopolitique plus large, celui de «la guerre des médias», car «l’information est une arme» entre la Russie et l’Occident.
Relations UE-Russie, sous «influence de l’Otan»
Avant la crise sanitaire, l’expert se rappelle des déclarations fracassantes d’Emmanuel Macron sur l’Alliance atlantique en novembre 2019, «ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan». Des propos recueillis par The Economist qui avaient suscité l’incompréhension aux États unis et en Europe à l’occasion la commémoration des 70 ans de l’Alliance. Selon Claude Chollet, cette interdiction de RT et de Sputnik dans les trois pays baltes est «un prolongement de l’inquiétude de l’Otan».
«C’est un secret de polichinelle que les différentes institutions de l’Otan directement ou indirectement sont très présentes à Bruxelles et influencent une fois de plus, directement ou indirectement, les positions de l’Union européenne sur les menaces russes, etc., alors que manifestement, de manière tout à fait raisonnable et posée, on pourrait estimer que l’intérêt de l’Europe, c’est d’avoir de bonnes relations avec la Russie. Je crois que cette interdiction, c’est une manière d’envenimer un peu les choses, d’attendre une réaction agacée de la Russie –qui viendra sûrement– pour approfondir le fossé qui sépare l’Europe de son voisin russe.»