Lors du remaniement gouvernemental du mardi 23 juin, le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a décidé de créer un nouveau département: le ministère de l’Industrie pharmaceutique. La création de ce ministère peut, à elle seule, confirmer la prise de conscience politique en matière de développement du secteur du médicament. Auparavant, ce secteur était du ressort d’un ministre délégué auprès du ministre de la Santé. Lotfi Benbahmed, qui occupait la fonction de ministre délégué, hérite donc de ce nouveau département.
Dans cette interview accordée à Sputnik, Lotfi Benbahmed affiche clairement les ambitions de son pays: «le gouvernement est décidé à mettre en place les conditions nécessaires pour que l’Algérie deviennent un hub pour l’industrie pharmaceutique». Il reconnaît cependant que le modèle de gestion administratif imposé jusqu’à lors a provoqué «le blocage» de nombreux projets industriels et bridé la croissance de ce secteur. Les défis sont donc multiples.
Sputnik: Le déploiement de l’industrie pharmaceutique algérienne a débuté réellement au milieu des années 1990 avec une large ouverture de ce secteur aux investissements nationaux privés et à l’installation de groupes pharmaceutiques internationaux. Quelles sont aujourd’hui les perspectives de développement de cette industrie?
Lotfi Benbahmed: «Lors du Conseil des ministres du 31 mai 2020, j’ai présenté un plan d’action pour le développement de l’industrie pharmaceutique qui est identifié par les autorités algériennes comme un secteur créateur de richesses. Aujourd’hui, notre pays dispose d’une centaine d’unités qui fabriquent près de 2.000 produits pharmaceutiques. Il ne s’agit pas de conditionnement mais de production en full process, de la matière première jusqu’au produit fini. Bien sûr, d’autres produits sont conditionnés pour des questions de transfert technologique. La production algérienne en médicaments dépasse les productions associées tunisienne et marocaine de 50%, cela représente environ deux milliards d’euros.
Sputnik: Mais cet objectif, pour qu’il ne demeure pas un vœu pieu, suppose surtout la mise en œuvre concrète d’un certain nombre de moyens.
Lotfi Benbahmed: «Effectivement, cela passe par le renforcement de l’Agence nationale du médicament, une institution qui existait mais qui avait des moyens très réduits. Cette agence a été dotée de moyens qui lui permettront de jouer pleinement son rôle. Nous avons également élaboré des textes réglementaires pour permettre l’enregistrement des produits pharmaceutiques dans des conditions optimales. Un enregistrement rapide et efficace permet de faire des économies substantielles. Un chiffre: l’accélération de la procédure d’enregistrement de médicaments fabriqués localement ou de produits importés moins chers, pour l’oncologie notamment, permet de réaliser jusqu’à 200 millions d’euros d’économie. Il suffit de simplifier les procédures et d’appliquer une meilleure régulation. Il faudra aussi mobiliser les compétences réelles en les motivant. Par ailleurs, nous devons mettre l’administration au service des entreprises pour le développement du pays. Il faut savoir que 29 unités de production étaient bloquées pour des considérations ubuesques. Nous avons fait en sorte de lever ces blocages afin qu’elles entrent en activité dans un proche avenir. Je peux vous dire que nous avons aujourd’hui une industrie pharmaceutique puissante, ambitieuse et qui n’est plus bridée. L’Algérie a un double intérêt, il y a bien sûr l’apport en termes de santé publique et, également, en termes de développement économique. Le secteur pharmaceutique est défini comme un segment créateur de richesses et peut être une opportunité économique pour l’Algérie».
Sputnik: L’Algérie est-elle prête à se positionner dans la stratégie de certains pays occidentaux souhaitant relocaliser leurs appareils industriels qui sont en Asie vers l’Europe et le bassin méditerranéen?
Sputnik: Le monde entier attend avec impatience le vaccin contre le coronavirus. Les autorités algériennes ont-elles commencé à réfléchir à une stratégie de vaccination de leur population?
Lotfi Benbahmed: «Cette thématique est prise en charge par la direction nationale de la prévention du ministère de la Santé publique et par le Comité scientifique de suivi de l'évolution du Covid-19. L’Algérie a déjà été confrontée à une crise similaire lors de l’épidémie de grippe H1N1, donc les procédures existent déjà. Pour ce qui est de l’approvisionnement en vaccins, il y a plusieurs types de contacts, formels et informels avec des laboratoires et, également, des contacts politiques de hauts niveaux entre le Président de la République et plusieurs dirigeants. Nous l’avons vu récemment lors du sommet Chine-Afrique avec l’engagement du Président chinois Xi Jinping de mettre le vaccin développé par son pays à la disposition des États africains. Ce que je peux vous dire, c’est que la plupart des laboratoires qui développent des programmes de recherche pour un vaccin anti-coronavirus sont présents en Algérie et des contacts ont été engagés dans ce sens. Pour l’heure, nous ne savons pas qui sera le premier ni même à quel prix ce vaccin sera proposé. En espérant qu’il sera bientôt disponible, je peux vous dire que l’Algérie sera au rendez-vous.»
Sputnik: Cette vaccination sera obligatoire?
Lotfi Benbahmed: «La procédure est en cours d’élaboration. Depuis l’indépendance, l’Algérie a toujours été pionnière en matière de lutte contre certaines maladies, notamment la poliomyélite et la tuberculose. Contrairement à d’autres populations, les Algériens ne font pas de rejet aux vaccins. Nous avons donc une grande expérience en matière de plans de vaccination. C’est inscrit dans l’ADN du système de santé algérien.»
Sputnik: L’Algérie a-t-elle dépassé la crise en matière de moyens de protection et de traitement du Covid-19?
Lotfi Benbahmed: «En fait, tout dépend des produits. Pour les masques, les gants et le gel hydroalcoolique, nous avons une production locale largement suffisante. C’est également le cas pour l’azithromycine et l’hydroxychloroquine qui constituent le traitement thérapeutique contre le coronavirus. Nous enregistrons, cependant, un certain manque en matière de surblouses et de casaques, nous avons d’ailleurs demandé à certains fabricants de masques de développer ces produits. Pour ma part, je suis coordinateur d’un comité qui regroupe cinq ministères (industrie pharmaceutique, intérieur, commerce, PME et artisanat), donc les secteurs incontournables pour mettre en place un circuit de production et de commercialisation de bavettes et de masques grand public. Par ailleurs, nous produisons 500.000 masques chirurgicaux par jour. Il faut savoir que l’importation de masques chirurgicaux était interdite en Algérie, car nous avions cinq producteurs et nous étions donc autosuffisants. Mais avec la pandémie de Covid-19, ces entreprises ne pouvaient plus faire face à la demande. Aujourd’hui, nous pouvons dire que le défi est très largement relevé, d’ailleurs, pour certains produits nous avons développé des capacités de production qui sont largement excédentaires. Les entreprises ont su adapter leurs outils de production pour des besoins qui n’existaient pas.»
Lotfi Benbahmed: «Notre département a pris cette question très au sérieux dès le début de la crise. Nous avions trouvé des projets de production d’oxygène médical qui étaient à l’arrêt pour des considérations administratives incompréhensibles. Nous avons pu débloquer la situation et même mis en route une unité de production d’oxygène relevant de l’entreprise Calgaz. Cet opérateur a d’ailleurs livré gratuitement des centaines d’hôpitaux à travers tout le pays dans le cadre de mesures de solidarité face au Covid-19. Il faut savoir que des entreprises algériennes se sont totalement inscrites dans cette action de solidarité. La totalité de l’azithromycine et la moitié de l’hydroxychloroquine ont été livrées gratuitement par des opérateurs, le groupe public Saïdal a remis d’importante quantité de gel hydroalcoolique pour faire face à cette pandémie.»