«Étranglement économique et financier», la stratégie de Trump contre le Venezuela

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L’alliance irano-vénézuélienne suscite le courroux de Washington, qui a décidé d’instaurer des sanctions contre les capitaines des navires iraniens acheminant du pétrole à Caracas. Selon Jean-Jacques Kourliandsky de l’IRIS, cette politique de Donald Trump est essentiellement liée à l’agenda électoral américain. Explications.

Sanctions américaines, à qui le tour?

C’est Mike Pompeo, le Secrétaire d’État américain, qui a annoncé le 24 juin la mise en place de sanctions à l’encontre des capitaines des cinq pétroliers iraniens important des hydrocarbures au Venezuela. «Les avoirs de ces capitaines seront bloqués. Leurs carrières et leurs perspectives [professionnelles, ndlr] en pâtiront», a-t-il ajouté, annonçant leur placement sur la liste noire du Trésor américain.

Des sanctions en grande partie symboliques, qui s’ajoutent ainsi aux mesures extraterritoriales américaines envers les deux États «parias» que sont l’Iran et le Venezuela, qui subissent par ailleurs de plein fouet la crise sanitaire mondiale. Cinq navires chargés de 1,5 million de barils de carburant et de dérivés sont effectivement arrivés le 25 mai en provenance d’Iran afin de soutenir l’économie vénézuélienne, en pénurie d’hydrocarbures.

Le pays, détenant les plus grandes réserves de pétrole au monde, n’en a jamais produit aussi peu depuis 1943, atteignant 570.000 barils par jour, selon un récent rapport de l’OPEP. Une situation paradoxale, qui s’explique par la localisation au Texas des capacités de raffinage du pétrole vénézuélien, particulièrement lourd. Le 20 juin, le cargo Golsan arrivait également en provenance d’Iran, acheminant de la nourriture.

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Interrogé par Sputnik, Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique latine à l’IRIS et à la Fondation Jean-Jaurès, estime que cette décision du Département d’État compense les déclarations de Donald Trump le 19 juin au sujet de Caracas et d’une éventuelle rencontre avec Nicolas Maduro. Proposition à laquelle ce dernier a répondu qu’il était «prêt à discuter respectueusement».

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Dans un entretien accordé au site d’informations Axios, le Président américain a ainsi ouvert la porte à une rencontre avec son homologue vénézuélien, signalant également ses doutes concernant Juan Guaido, le Président autoproclamé. Des propos qui ont suscité l’émoi chez les Républicains. Ainsi la Maison-Blanche a-t-elle par la suite publié un rectificatif, indiquant que Donald Trump ne rencontrerait Maduro qu’afin d’«étudier les conditions de son départ», des propos qui ont provoqué un nouveau tollé chez les Républicains.

​«Contrairement à la gauche radicale, je m’opposerai toujours au socialisme et soutiendrai la population vénézuélienne. Mon Administration s’est toujours positionnée pour la libération et la liberté et contre le régime répressif de Maduro. Je ne rencontrerai Maduro que pour discuter d’une seule chose: un départ pacifique du pouvoir!»

Kourliandsky rappelle notamment l’importance de l’électorat américano-cubain en Floride, État clé à majorité Républicaine pour le scrutin présidentiel de novembre prochain. Alors que le Président sortant n’est pas au mieux dans les sondages, l’annonce des sanctions par Mike Pompeo s’apparente effectivement à une opération de rattrapage «en période électorale». Ces sanctions pourraient avoir un «effet choc du point de vue médiatique», bien qu’elles ne modifient en rien la situation actuelle.

«L’affrontement militaire n’est pas la stratégie de Donald Trump. Sa stratégie est l’étranglement économique et financier. Cela dit, l’argument électoral semble actuellement l’élément principal pour lui. Ce qui concerne le Venezuela sera probablement lié à ce que ça peut lui rapporter en termes de capital électoral. Sinon, Donald Trump est assez imprévisible. On l’a vu condamner le Venezuela, l’Iran, pour des raisons officiellement idéologiques, la liberté, la démocratie, etc. Mais on l’a vu par ailleurs s’entretenir avec le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un, qui ne répond pas exactement à ces critères.»

Sur Twitter, Jorge Arreaza, le chef de la diplomatie vénézuélienne, a affirmé que ces représailles étaient «la preuve de la haine des faucons de (Donald) Trump contre le Venezuela». À Téhéran, le porte-parole de la diplomatie a signalé que «les mesures américaines désespérées contre des citoyens iraniens […] représentent juste l’échec lamentable» de la campagne de «pression maximale», ajoutant que les deux États «parias» aux yeux de Washington «demeureront déterminés à s’opposer aux sanctions américaines illégales».

L’alliance des «parias»

Replaçant ces sanctions dans un cadre stratégique plus global, Jean-Jacques Kourliandsky explique l’intérêt de ces mesures:

«Ces capitaines ne sont pas des capitaines de sous-marins nucléaires ou de porte-avions, ce sont des capitaines de pétroliers ordinaires. On est dans le contexte de la stratégie classique de Donald Trump, les sanctions économiques et financières.»  

Datant de Hugo Chavez et de Mahmoud Ahmadinejad dans les années 2000, la relation privilégiée irano-vénézuélienne s’est surtout fondée sur leur anti-américanisme. Leurs liens s’étaient relativement distendus en 2015 lorsque l’Iran est rentré dans le concert des nations avec l’accord sur le nucléaire. L’avènement au pouvoir de Donald Trump ayant détruit le «plan d’action conjoint», a paradoxalement renforcé cette relation, comme l’observe Kourliandsky: «les pays qui sont mis à l’index par les États-Unis cherchent à mutualiser leurs efforts en vue de desserrer l’étreinte».

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L’impact économique de ces échanges reste toutefois modeste. Ces derniers ne peuvent en effet s’effectuer «que sous forme de compensation, dans la mesure où d’un côté comme de l’autre, les dollars ne peuvent pas être utilisés». Au même titre que Cuba, Caracas n’a ni accès aux marchés internationaux ni au dollar pour les transactions extérieures. Le seul produit d’exportation du pays, le pétrole, ne trouve plus d’acheteur.

Se pose alors la question des réserves d’or du Venezuela: Nicolas Maduro a souhaité retirer les 31 tonnes d’or, soit environ 891 millions d’euros, déposées dans les coffres de la Banque d’Angleterre. Sauf que Juan Guaido, reconnu par Londres, s’y oppose. Cette affaire politico-économique s’est déplacée devant la justice britannique, dont les audiences se terminent ce 25 juin.

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