Rendu public samedi 20 juin, le projet de Mechmoul, que l’on peut traduire par global et inclusif, est un travail collectif qui a été initié dès le printemps 2019, soit durant les premières semaines qui ont suivi le début du Hirak, du nom du vent de contestation sociopolitique qui souffle sur l’Algérie depuis février 2019.
La voix des agoras
Hicham Rouibah, socio-économiste, doctorant à l’université d’Oran II et à l’université Paris VII, fait partie du noyau dur des initiateurs de Mechmoul aux côtés d’Amazigh Kateb, chanteur engagé du groupe Gnawa Diffusion. «Les détracteurs du Hirak mettent souvent en avant l’argument de l’absence d’initiative pour critiquer ce mouvement. Mechmoul est une preuve, parmi d’autres, qu’il y a une effort de réflexion qui est engagé», explique-t-il à Sputnik. Il insiste sur le concept horizontal de cette initiative, qui se veut dans l’esprit du Hirak. Hicham Rouibah indique que ce projet a débuté par la tenue d’agoras dans plusieurs villes d’Algérie ainsi qu’à l’étranger (France, États-Unis, Canada, Belgique et Suisse), qui ont rassemblé, chacune, des centaines de citoyens afin de débattre de la question d’une nouvelle Constitution.
«Pendant plusieurs mois, lors de ces rencontres, des citoyens ont présenté leurs propositions. Nous avons collecté toutes les idées intéressantes, nous les avons résumées et organisées dans cette première mouture de Constitution citoyenne de transition. Machmoul est donc la somme de propositions citoyennes qui a fait l’objet d’un long travail de synthèse et d’organisation. Bien sûr, nous avons fait appel à des experts à chaque fois que nous abordions un chapitre spécifique», note Hicham Rouibah.
Assemblée constituante
Concrètement, le projet Mechmoul s’articule autour d’une Constitution citoyenne de transition et d’une assemblée constituante. Composée de 116 articles répartis sur 29 chapitres, cette loi fondamentale transitionnelle provoquera le gel d’une grande partie de l’arsenal législatif et réglementaire actuel. Pour ce qui est de l’Assemblée nationale constituante, elle sera composée de 1.541 délégués, soit un représentant pour chacune des communes d’Algérie. Le processus de sélection débute par un vote au sein des quartiers et des villages de chaque commune pour désigner deux représentants, un homme et une femme. Cette première étape permettra de désigner les élus locaux qui éliront à leur tour leur représentant à l’Assemblée nationale constituante.
«L’assemblée constituante prend forme au niveau local, car nous avons constaté une forte demande de décentralisation lors des débats. Une assemblée avec 1.541 porte-parole, cela peut sembler difficile à gérer. Au sein des deux chambres siègent 606 parlementaires (462 députés et 144 sénateurs), donc en revoyant à la baisse de moitié les indemnités des membres, cela permettra d’avoir un budget de fonctionnement quasiment identique», relève Hicham Rouibah.
« Depuis l’indépendance de l’Algérie, le peuple n’a jamais eu l’occasion de proposer des instruments pour fonder des institutions démocratiquement élues pour gérer la cité. Cette possibilité d’élire des représentants locaux, dont certains auront la possibilité de siéger au sein de l’Assemblée constituante, est un mécanisme qui émane du fin fond de l’Algérie», fait encore remarquer le professeur Cacher.
Référendums
Selon l’article 18 de ce projet de texte, «l’Assemblée nationale constituante est tenue d’établir une nouvelle Constitution dans un délai maximum de trois ans». Le chef de l’État par intérim sera issu de cette Assemblée suite à une élection à bulletin secret. Une fois élu, il devra désigner le membre ayant obtenu le plus de voix après lui en qualité de chef du gouvernement et le charger de former la nouvelle équipe gouvernementale. Dans ce processus, les citoyens auront la possibilité d’intervenir par voie référendaire afin de statuer sur le maintien ou non du système présidentiel. Un second référendum leur permettra de maintenir un parlement bicaméral.
«Ces référendums sont des étapes importantes, car il est essentiel d’avoir des institutions pérennes. Il revient au peuple de trancher sur la nature du système politique qu’il souhaite avoir», souligne Hicham Rouibah.
Faisabilité
Le socio-économiste dit être conscient de la situation politique que traverse l’Algérie et la difficulté que peut représenter la faisabilité d’un tel projet. Le Président Abdelmadjid Tebboune a lancé un processus d’amendement constitutionnel qui devrait être finalisé dans quelques semaines. Il s’est engagé à le faire adopter par voie référendaire.
«La faisabilité de ce projet reste l’aspect le plus complexe. Mechmoul est une première initiative, d’autres pourront immerger et je les lirais avec attention, car il est possible qu’elles soient mieux adaptées. Nous ne sommes pas là pour imposer des idées, notre action vise à lancer un débat.»
Hicham Rouibah et ses compagnons savent également que l’option d’une assemblée constituante ne fait pas l’unanimité au sein même du Hirak.