«Jamais le monde entier n'avait eu peur de la même menace en même temps!». C’est avec ces mots que l’ancien chef de la diplomatie française Hubert Védrine décrit la crise du Covid-19. Selon lui, elle entraînera «des conséquences anthropologiques profondes», mais ouvrira «une fenêtre d'opportunité pour agir».
Dans un entretien accordé au Point, le diplomate estime notamment que les Européens ont besoin d’une «révolution mentale», car «contrairement à une croyance répandue, plus d'intégration européenne ne veut pas dire plus de puissance».
«Il faut montrer que l'Europe est forte de la force de chaque nation, et qu'en réglementant à outrance, avec des normes ubuesques, on a perdu l'enracinement. Certains paniquent dès qu'on parle de frontières, mais une frontière, ce n'est pas un mur!», souligne-t-il.
Jurassic Park
Pour analyser l’état actuel de l’Europe, M.Védrine remonte aux années d’après-guerre, quand les fondements de l’Union européenne ont été posés:
«Après la Seconde Guerre mondiale, presque tous les Européens ont refusé l'idée même de puissance, dont on pensait qu'elle avait conduit au désastre. Ils ont demandé aux États-Unis de les protéger et, à l'abri de l'Alliance atlantique, ils ont fabriqué le marché commun, puis le marché unique (avec ses normes!). L'Europe est ainsi devenue une sorte de petit paradis pour Bisounours. Mais le monde, c'est Jurassic Park! C'est ce qui se passe quand on jette Machiavel à la poubelle. Nous avons cru […] que tout irait bien puisque les pays en développement allaient devenir, en se développant et en commerçant, plus modernes, plus démocratiques, et qu'ainsi nos valeurs allaient se répandre dans l'Univers».
Se défaire de la naïveté
Pour Hubert Védrine, le temps est venu «de se défaire de cette naïveté», car la révélation de «la dépendance presque complète» de l’Europe dans certains secteurs montre que «la vision idéalisée de la mondialisation» a tourné, en partie à son détriment.
«La pandémie nous l'a montré: pour avoir des masques, les gens se sont tournés vers les gouvernements nationaux, la région ou leur ville, pas vers l'Europe».
Ainsi, poursuit-il, au lieu de dire aux Européens «qu'on va s'en remettre à l'Europe», il faut leur dire qu’«on va rendre l'Europe plus forte par la combinaison des ambitions réveillées des États membres».
«[Il faut] les rassurer en expliquant qu'ils resteront des Français, des Allemands, des Danois, des Portugais, etc., et qu'il ne s'agit pas de leur piquer ce qui leur reste de leur souveraineté», conclut l’ancien ministre français des Affaires étrangères.