L’annonce émane du gouvernement burundais, lundi 8 juin 2020: Pierre Nkurunziza, Président du Burundi depuis 2005, est décédé ce même jour des suites d’une crise cardiaque, à l’hôpital du Cinquantenaire de Karusi (Est).
Selon le communiqué du gouvernement, il avait ressenti un malaise dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 juin, après avoir assisté à un match de volley-ball la veille. Hospitalisé, son état s’était amélioré un moment, avant de se détériorer «brusquement» suite à un arrêt cardiaque, à la grande surprise du corps médical. «Une réanimation immédiate a été entreprise par une équipe multidisciplinaire de médecins pendant plusieurs heures avec une assistance cardio-respiratoire», détaille le gouvernement dans son communiqué. Mais, «malgré une prise en charge intense, continue et adaptée, l’équipe médicale n’a pas pu récupérer le patient».
Pierre Nkurunziza laisse derrière lui un pays divisé et marqué par une grave crise sociopolitique et économique. Jusqu’au 10 juin, son épouse, Denise Bucumi Nkurunziza, est toujours hospitalisée au Kenya.
Du maquis à la présidence de la République
Le 21 octobre 1993, l’armée burundaise, composée et contrôlée essentiellement par les Tutsis, assassine le Président Hutu du pays, démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, plongeant le Burundi dans une terrible guerre civile. Des milliers de Hutus sont tués et des centaines de milliers d’autres trouvent le salut en se réfugiant dans les pays voisins. Professeur de gymnastique à l’université, Pierre Nkukunziza, qui est né de père Hutu et de mère Tutsie et qui n’a alors que 30 ans, échappe de peu à la mort en 1995. «Mon frère, qui me ressemblait énormément, a été tué à ma place», racontera-t-il. La même année, il décide de rejoindre l’opposition armée des Forces de défense de la démocratie (FDD), qui a vu le jour après l’assassinat du Président Ndadaye. Il en gravit rapidement les échelons et en 2001, il devient le numéro un du mouvement, qui a établi son maquis dans la forêt de la Kibira.
Grâce à la médiation de Nelson Mandela, les belligérants de la guerre civile burundaise s’engagent, non sans difficulté, à faire taire les armes. Les accords d’Arusha signés en 2000 et auxquels les FDD ne souscriront qu’en octobre 2003, établissent un savant équilibre politico-ethnique entre la majorité Hutue, qui forme environ 80% de la population, et la minorité Tutsie.
Les FDD se muent en parti politique pour devenir le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) et en juillet 2005, ce dernier remporte les élections législatives. Un mois plus tard, le 19 août, le Parlement et le Sénat burundais réunis en Congrès élisent Pierre Nkurunziza Président de la République du Burundi pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois.
Un mandat mi-figue mi-raisin
Lorsque Pierre Nkurunziza gravit les marches du pouvoir, le Burundi, qui vient de sortir de la guerre civile, se cherche un destin politique et économique. Le pays affiche une croissance économique négative de -2% et doit composer avec la rébellion des Forces nationales de libération (FNL), qui entretiennent l’insécurité dans la partie Ouest et refusent de reconnaître le gouvernement de Pierre Nkurunziza. Ce dernier réussit tout de même à ramener les FNL à la table des négociations et en 2009, la rébellion dépose les armes et participe aux Institutions. Une première «victoire» pour Nkurunziza.
Sur le plan économique, des efforts furent entrepris pour sortir le pays de la crise. Dès 2011, le gouvernement de Pierre Nkurunziza avait réussi à maîtriser l’inflation et à stabiliser l’économie du pays, avec une croissance moyenne de 4,6%. L’éducation figurait parmi les priorités du gouvernement et le taux de scolarisation avoisinait les 90% pour l’éducation de base.
En outre, malgré les difficultés que pouvait connaître le Burundi et en dépit des critiques que l’on pouvait émettre à l’endroit du régime, tout semblait aller pour le mieux… Jusqu’à ce que le Président Nkurunziza décide, au printemps 2015, de briguer un troisième mandat, «en violation des accords d’Arusha et de la Constitution de 2005», selon l’opposition, la société civile et une partie de son propre camp.
Nonobstant les différentes interprétations avancées sur l’éventuelle légalité de sa candidature à l’élection présidentielle de juillet 2015, il est clairement établi que celle-ci a plongé le Burundi dans une crise sociopolitique majeure, qui a eu des répercussions non négligeables sur toute la région des Grands Lacs. Au moins 1.200 Burundais sont morts et près de 400.000 ont pris le chemin de l’exil. Pierre NKurunziza lui-même a échappé de justesse à une tentative de coup d’État, qui a étalé au grand jour les dissensions et les ressentiments qui traversent son régime, notamment l’appareil sécuritaire et l’armée.
En 2018, Pierre Nkurunziza promet de ne pas briguer un autre mandat présidentiel, après avoir modifié la Constitution du pays. Dans la foulée, il s’autoproclame «Guide suprême éternel»… avant de décéder inopinément d’une crise cardiaque le 9 mai. Son successeur, le général Évariste Ndayishimiye –membre du parti au pouvoir–, vainqueur de l’élection présidentielle du 20 mai dernier et à qui il devait céder officiellement les rênes du pouvoir dans environ deux semaines, hérite d’un Burundi politiquement en crise et économiquement et socialement sous respirateur artificiel…
La suite?
En s’autoproclamant «Guide suprême éternel», Pierre Nkurunziza entendait sûrement peser sur l’avenir de son pays, le Burundi. Bien que son successeur, le général Évariste Ndayishimiye, n’était pas son choix et avait été imposé par un groupe d’officiers supérieurs de l’armée, il n’en reste pas moins que celui-ci allait continuer, du moins dans les premières années de son pouvoir, à composer avec le Président sortant et les membres du système qui lui sont restés fidèles.
Avec la mort de Pierre Nkurunziza, c’est la dynamique dans laquelle se meut le pouvoir qui devrait considérablement changer. Il est clair que le général Évariste Ndayishimiye aura une marge de manœuvre beaucoup plus conséquente. Même s’il est redevable à ceux qui l’ont fait roi, rien ne semble indiquer qu’il continuera sur la même lancée que son prédécesseur, qui s’est opposé à une partie de la communauté internationale, notamment l’Occident, jusqu’à sa mort.
Fait révélateur, les chefs de missions diplomatiques accrédités au Burundi ont pris acte des résultats des élections présidentielle et législative du 20 mai dernier, saluant au passage «la forte participation des Burundais» à ces scrutins. De son côté, Washington s’est dit prêt à travailler avec «le nouveau Président élu», tandis que le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a dit prendre acte des résultats des élections, encourageant les Burundais à continuer à promouvoir une atmosphère pacifique. Sans aucun doute des messages d’ouverture et d’apaisement envoyés au général Ndayishimiye, surtout quand on sait que la plupart des pays occidentaux qui se montrent bienveillants à son égard n’avaient pas manqué de critiquer la réélection de Pierre Nkurunziza en 2015. Même la conférence des évêques catholiques du Burundi a félicité le nouveau Président, alors que l’Église s’était montrée pourtant très critique au sujet des élections.
Il apparaît que la mort inopinée de Pierre Nkurunziza va sans aucun doute accélérer le rapprochement entre le Burundi et la partie occidentale de la communauté internationale. Un rapprochement qui pourrait avoir des répercussions inattendues sur le plan géopolitique, étant donné que sous Nkurunziza, le Burundi s’était affranchi des circuits occidentaux pour se rapprocher des deux grandes puissances des BRICS que sont la Russie et la Chine, aujourd’hui très présentes dans le pays…
Bref, avec la mort du président Pierre Nkurunziza, la bienveillance de la communauté internationale, combinée au soutien des officiers modérés du système et d’une bonne partie de la population burundaise, y compris des détracteurs du pouvoir, font que le général Évariste Ndayishimiye pourrait ainsi faire d’une pierre plusieurs coups: s’affranchir sans très grande difficulté de la tutelle des généraux et des partisans du statu quo au sein du système, reconnecter le Burundi aux circuits internationaux tout en impulsant le changement tant attendu par les Burundaises et les Burundais. Mais encore faut-il en avoir la volonté… et le courage.