La gestion de la pandémie de Covid-19 a fait plonger la France tête la première dans une crise économique et sociale majeure. En avril, le nombre de chômeurs a grimpé de 22%, soit plus de 843.000 demandeurs d’emploi de plus par rapport au mois de mars. Afin d’y remédier, Emmanuel Macron et Édouard Philippe réunissent ce 4 juin syndicats et patronat afin de «préserver l’emploi». Présente lors de cette réunion avec le Président de la République et le Premier ministre, Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a d’ores et déjà présenté en mai des «accords de performance collective», qui permettent notamment aux entreprises de baisser les salaires et avantages sociaux de leurs employés pour ne pas licencier.
«Créer des emplois» pour les sept millions de chômeurs
Au sein de ce générateur d’idées qui prend la forme d’un «shadow cabinet» (un gouvernement fantôme, sur le modèle de ceux que mettent en place les partis d’opposition dans les pays anglo-saxons), l’ancien président d’ATTAC et du Parti de la démondialisation (Pardem) a été nommé au ministère du Travail et de l’Emploi pour exposer ses idées-phares: le droit opposable à l’emploi et un Fonds national d’investissement pour l’emploi.
Au même titre que le droit à la santé et le droit à la scolarité, sa première proposition existe dans le préambule de la Constitution de 1946, reprise en 1958 sous cette forme: «Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi». Avec sept millions de chômeurs en France, Jacques Nikonoff estime qu’il faut «créer des emplois» pour l’ensemble de ces personnes d’ici deux ans, essentiellement dans le secteur non marchand, afin de répondre «aux besoins individuels et collectifs de la société». Pour lui, ce n’est pas le travail qui manque, mais bien l’emploi. Ainsi, la catastrophe sanitaire aura-t-elle été révélatrice de l’importance de certaines activités, qu’il suggère de développer, comme l’enseignement, la culture, le sport, les loisirs, l’environnement ou encore la sécurité.
«Au lieu que les gens restent chez eux, on les met au travail, c’est-à-dire qu’on répond à des besoins. Il est absurde d’avoir douze millions de personnes au chômage partiel qui restent chez eux, alors que par exemple, les hôpitaux sont en manque de personnel, c’est complètement aberrant.»
L’industrie est-elle la clé?
Ses travaux partent d’un constat glaçant sur l’état de l’industrie française, mis à nu par les pénuries de masques et de respirateurs artificiels. Selon Jacques Nikonoff, «l’industrie a été détruite» avec le mythe du «fabless», des entreprises sans usines. La faute à qui?
«Depuis des décennies, un certain nombre d’entrepreneurs, encouragés par les différents gouvernements, ont préféré délocaliser leur production pour des raisons parfaitement égoïstes. Faire travailler des enfants, faire travailler des personnes très mal payées et dociles à la place de développer l’emploi en France, de remplir les caisses des régimes sociaux, de remplir les caisses par la fiscalité, tout cela est le résultat de l’incurie de nos gouvernements de ces dernières décennies.»
Un réquisitoire que ne renierait pourtant pas Emmanuel Macron, si l’on en croit son discours du 12 mars exaltant l’État-providence, «atout indispensable quand le destin frappe», le système de santé, «des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché» et un souverainisme relatif, refusant de «déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner» à l’étranger. Bruno Le Maire souhaite également «rompre avec trente années où l’on a massivement délocalisé» et relocaliser «certaines productions». C’est aussi l’ancien ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, chantre du made in France, qui est revenu à la mode.
Pour Jacques Nikonoff, l’industrie «est le socle sur lequel on peut bâtir une économie solide et indépendante». Il souhaite doubler la valeur ajoutée dans un secteur secondaire qui ne serait plus polluant, frauduleux en termes fiscaux ou encore délocalisateur. Pour relancer cette production, l’économiste propose le principe de la «substitution aux importations». Il fustige les décideurs politiques et économiques qui «achètent des produits que nous fabriquions» encore récemment.
Avec ses confrères du Gouv, comme Étienne Chouard, au Conseil citoyen de la monnaie, et Philippe Murer, au ministère de l’Économie, l’ancien président d’ATTAC est un fervent partisan de la souveraineté nationale, un combat politico-culturel qu’il estime d’ailleurs gagné face aux tenants de la mondialisation. C’est dans cet objectif de souveraineté économique, qu’il «faut prendre des mesures protectionnistes, des quotas d’importation, rehausser certains droits de douane.»
Suspension des traités ou Frexit?
Une politique de protectionnisme économique qui nécessiterait ainsi le retrait ou au moins la suspension des traités européens, ce qui vient d’être acté par la Commission elle-même: elle a en effet permis la remise en cause des «critères de convergence du traité de Maastricht de 1993, par exemple tout ce qui relève du déficit budgétaire et de la dette publique», souligne Jacques Nikonoff.
Sans être un partisan assumé du Frexit au sein du Gouv, «on ne veut pas rentrer dans un débat qui va diviser la population, parce qu’elle est partagée sur ce point», Jacques Nikonoff propose néanmoins de suspendre l’application de certains articles des traités européens qui empêchent tout protectionnisme:
Il suggère l’interruption unilatérale de la mise en œuvre de ces textes qui prohibent «la possibilité de choisir en France qui doit entrer sur le territoire, en termes de main-d’œuvre, de capitaux, de marchandises et de services. Autrement dit, la possibilité de choisir une politique économique qui nécessite des mesures protectionnistes. On ne pourra pas régler le problème de l’emploi sans mesures protectionnistes farouchement interdites par les traités européens.»
Deuxième exemple de règles qu’il propose de suspendre, celles qui interdisent aux Banques centrales nationales de faire des avances à l’État, ce que pratiquent la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Chine ou encore la Russie. Jacques Nikonoff conclut en estimant que
«Nous sommes coincés essentiellement par l’Union européenne. Il est tout à fait clair que les traités européens sont un facteur essentiel de blocage.»
Difficile pourtant d’imaginer une telle remise en cause des traités européens sans un éclatement de l’UE.