Ségur de la Santé: «le gouvernement veut aller vite, parce qu’il y a une grogne sociale»

© SputnikLe personnel soignant manifeste à l’hôpital Robert-Debré à Paris, 14 mai 2020
Le personnel soignant manifeste à l’hôpital Robert-Debré à Paris, 14 mai 2020 - Sputnik Afrique
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Le lancement du «Ségur de la Santé» a ouvert la porte aux négociations sur les conditions de travail des soignants, menant in fine à la réforme du système hospitalier. Signe d’espoir ou démarche déjà pleine de lacunes, à peine commencée? Olivier Youinou, secrétaire général de Sud Santé AP-HP, fait le point pour Sputnik.

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Le Covid-19 a exacerbé des problèmes déjà bien présents au sein de l’hôpital public. Le gouvernement a finalement décidé d’agir et a promis des «choix forts» dans le cadre du «Ségur de la Santé». À partir du 25 mai et durant sept semaines, associations et syndicats vont pouvoir débattre avec le gouvernement sur l’avenir des structures de soins et des soignants. Leur but: la revalorisation des salaires et des conditions de travail, mis à mal par des années de réformes du système hospitalier.

Le gouvernement est donc attendu au tournant par le personnel soignant. S’il espère être entendu, Olivier Youinou, infirmer-anesthésiste de profession et secrétaire général du syndicat Sud Santé AP-HP, craint un énième échec.

«Les soignants eux-mêmes, un peu piégés dans le cadre de la communication gouvernementale, attendent beaucoup de ce “Ségur”. Et pourtant, pour ceux qui y participent, on mesure bien le piège que c’est.»

Une concertation lancée alors que l’épidémie n’est pas terminée, bien que le nombre de morts soit en baisse et que les hôpitaux ne soient plus saturés.

Négociations bloquées avant d’avoir vraiment commencé?

Après plusieurs rencontres avec les représentants du gouvernement, et notamment Nicole Notat, ex- dirigeante de la CFDT chargée de piloter le «Ségur de la santé», Olivier Youinou constate avec regret un échange à sens unique, puisque les propositions du gouvernement se font attendre:

«On a l’impression qu’on est là dans un “lead management” de leur part, où ils nous demandent ce que l’on attend pour les différents points, les différents piliers qu’ils ont mis en avant, sans s’avancer eux-mêmes sur les propositions. Donc à l’évidence, on n’est pas dans la confrontation, on n’est pas dans la négociation.»

Le gouvernement a fait plusieurs promesses: hausse des salaires, réorganisation du temps de travail, requalification des carrières ou encore meilleure organisation des soins pour chaque patient, mais les propositions restent floues.

Revalorisation salariale

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En plus de la prime aux soignants liée à la crise du Covid-19, «un axe important de reconnaissance de l’engagement des soignants» selon l’infirmier, une hausse de salaire va être négociée, à hauteur de 300 euros. Cette somme équivaut cependant au «minimum syndical», puisqu’elle ne ferait que rattraper un retard, notamment sur nos voisins européens. À titre de comparaison, un infirmer français est payé 2.070 euros par mois contre 2.600 euros pour un infirmer espagnol. Pour aller encore plus loin, selon les dernières données de l’OCDE datant de 2019, le salaire moyen d’un infirmier français est inférieur de 6% à celui de la moyenne de la population.

«Ces 300 euros représentent en fait un rattrapage par rapport à un gel de notre salaire depuis maintenant presque 10 ans, rattrapage du pouvoir d’achat à l’évidence. Il faut ensuite envisager des reconnaissances de la haute compétence et de la haute qualification que les soignants ont dans nos établissements de santé et sur la médecine de ville, ça nécessitera une rallonge [supplémentaire par rapport, ndlr] à celle que l’on réclame.»

Les personnels soignants réclament des revalorisations salariales, mais aussi des compétences afin de rendre l’hôpital plus attractif, notamment pour les jeunes médecins. Aujourd’hui, 30% des infirmiers fraîchement diplômés abandonnent la profession dans les cinq ans et se tournent vers le privé. Des postes vacants qui obligent les hôpitaux à fermer des lits ou à embaucher des intérimaires, un choix plus coûteux pour les hôpitaux. Ce manque de personnel oblige de plus les soignants à travailler toujours plus.

«Faire le procès des 35 h, c’est se foutre de nous»

Le ministre de la Santé a déclaré vouloir réorganiser le temps de travail à l’hôpital. Les syndicats sont alors montés au créneau y voyant là le souhait de s’attaquer au cadre légal des 35 h: «Faire le procès des 35 h dans le malaise de l’hôpital aujourd’hui, c’est se foutre de nous», s’insurge Olivier Youinou. Un temps de travail largement dépassé par les soignants au quotidien, plus encore durant cette crise sanitaire. Pour Olivier Véran, il ne s’agit pas de «déréglementer le temps de travail», mais permettre une «autonomie avancée des salariés.»

«Une autonomie avancée, je ne sais pas ce que ça veut dire. L’autonomie de gestion sur nos plannings oui: il est temps que le planning soit autre chose que des armes utilisées par nos managers pour nous faire plier quand ils attribuent ou pas des jours de repos, quand ils autorisent ou pas nos congés demandés. Une autogestion des plannings, dans les services où on a pu mettre ça en place, est source de fidélité et de présentéisme, c’est un point qu’il faut évoquer», explique Olivier Youinou.

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«On est dans un problème de temporalité, c’est-à-dire qu’on sent que le gouvernement veut aller vite, parce qu’effectivement il y a une grogne sociale derrière tout ça.»

La France a connu d’importants mouvements sociaux ces dernières années. Entre les Gilets jaunes, les grèves des urgences, la réforme des retraites, le gouvernement ne peut plus détourner le regard face aux différentes protestations, notamment celles des soignants, placés en première ligne dans cette «guerre» contre le virus.

«L’hôpital, dans ses difficultés, est tout un symbole de solidarité intergénérationnelle, de prise en charge de chacun, quelle que soit sa situation financière, sociale ou l’endroit où il habite. C’est de l’aspiration populaire forte. On est au cœur du pacte républicain, là, et il y a un enjeu majeur à la fois pour nous de construire, d’amplifier ce rapport de forces et il y a un enjeu pour le gouvernement aussi, qui est de traiter la question rapidement avant que ce rapport de forces là ne se mette en place, parce que pour le coup, le Nouveau Monde se ferait sans eux.»
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