Le gouvernement est donc attendu au tournant par le personnel soignant. S’il espère être entendu, Olivier Youinou, infirmer-anesthésiste de profession et secrétaire général du syndicat Sud Santé AP-HP, craint un énième échec.
«Les soignants eux-mêmes, un peu piégés dans le cadre de la communication gouvernementale, attendent beaucoup de ce “Ségur”. Et pourtant, pour ceux qui y participent, on mesure bien le piège que c’est.»
Une concertation lancée alors que l’épidémie n’est pas terminée, bien que le nombre de morts soit en baisse et que les hôpitaux ne soient plus saturés.
Négociations bloquées avant d’avoir vraiment commencé?
Après plusieurs rencontres avec les représentants du gouvernement, et notamment Nicole Notat, ex- dirigeante de la CFDT chargée de piloter le «Ségur de la santé», Olivier Youinou constate avec regret un échange à sens unique, puisque les propositions du gouvernement se font attendre:
«On a l’impression qu’on est là dans un “lead management” de leur part, où ils nous demandent ce que l’on attend pour les différents points, les différents piliers qu’ils ont mis en avant, sans s’avancer eux-mêmes sur les propositions. Donc à l’évidence, on n’est pas dans la confrontation, on n’est pas dans la négociation.»
Le gouvernement a fait plusieurs promesses: hausse des salaires, réorganisation du temps de travail, requalification des carrières ou encore meilleure organisation des soins pour chaque patient, mais les propositions restent floues.
Revalorisation salariale
«Ces 300 euros représentent en fait un rattrapage par rapport à un gel de notre salaire depuis maintenant presque 10 ans, rattrapage du pouvoir d’achat à l’évidence. Il faut ensuite envisager des reconnaissances de la haute compétence et de la haute qualification que les soignants ont dans nos établissements de santé et sur la médecine de ville, ça nécessitera une rallonge [supplémentaire par rapport, ndlr] à celle que l’on réclame.»
Les personnels soignants réclament des revalorisations salariales, mais aussi des compétences afin de rendre l’hôpital plus attractif, notamment pour les jeunes médecins. Aujourd’hui, 30% des infirmiers fraîchement diplômés abandonnent la profession dans les cinq ans et se tournent vers le privé. Des postes vacants qui obligent les hôpitaux à fermer des lits ou à embaucher des intérimaires, un choix plus coûteux pour les hôpitaux. Ce manque de personnel oblige de plus les soignants à travailler toujours plus.
«Faire le procès des 35 h, c’est se foutre de nous»
Le ministre de la Santé a déclaré vouloir réorganiser le temps de travail à l’hôpital. Les syndicats sont alors montés au créneau y voyant là le souhait de s’attaquer au cadre légal des 35 h: «Faire le procès des 35 h dans le malaise de l’hôpital aujourd’hui, c’est se foutre de nous», s’insurge Olivier Youinou. Un temps de travail largement dépassé par les soignants au quotidien, plus encore durant cette crise sanitaire. Pour Olivier Véran, il ne s’agit pas de «déréglementer le temps de travail», mais permettre une «autonomie avancée des salariés.»
«Une autonomie avancée, je ne sais pas ce que ça veut dire. L’autonomie de gestion sur nos plannings oui: il est temps que le planning soit autre chose que des armes utilisées par nos managers pour nous faire plier quand ils attribuent ou pas des jours de repos, quand ils autorisent ou pas nos congés demandés. Une autogestion des plannings, dans les services où on a pu mettre ça en place, est source de fidélité et de présentéisme, c’est un point qu’il faut évoquer», explique Olivier Youinou.
«On est dans un problème de temporalité, c’est-à-dire qu’on sent que le gouvernement veut aller vite, parce qu’effectivement il y a une grogne sociale derrière tout ça.»
La France a connu d’importants mouvements sociaux ces dernières années. Entre les Gilets jaunes, les grèves des urgences, la réforme des retraites, le gouvernement ne peut plus détourner le regard face aux différentes protestations, notamment celles des soignants, placés en première ligne dans cette «guerre» contre le virus.
«L’hôpital, dans ses difficultés, est tout un symbole de solidarité intergénérationnelle, de prise en charge de chacun, quelle que soit sa situation financière, sociale ou l’endroit où il habite. C’est de l’aspiration populaire forte. On est au cœur du pacte républicain, là, et il y a un enjeu majeur à la fois pour nous de construire, d’amplifier ce rapport de forces et il y a un enjeu pour le gouvernement aussi, qui est de traiter la question rapidement avant que ce rapport de forces là ne se mette en place, parce que pour le coup, le Nouveau Monde se ferait sans eux.»