Depuis trois semaines, le jeune médecin congolais Jérôme Munyangi a retrouvé les rues de Kinshasa, la capitale de la RDC, son pays d’origine. Une ville de 15 millions d’habitants «pas vraiment confinés», déplore-t-il au micro de Sputnik France. Hormis pour la commune de Gombé, considérée comme l’épicentre à cause du nombre de cas d’infections au Covid 19, le reste de la ville continue à vaquer à ses occupations, avec ses petits commerces de proximité, sans trop se préoccuper de la pandémie. D’où son étonnement en revenant de France.
Rappelé par le Président Felix Tshisekedi pour rejoindre la task force présidentielle qui travaille sur un traitement contre le coronavirus, cet infectiologue, qui a fait sa médecine à Kinshasa après un passage en tant que chercheur à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a accepté de retourner dans son pays afin d’y apporter son expertise.
Coordonnateur de la task force «Artemisia for Africa», il s’est fait connaître depuis six ans grâce à ses travaux de recherche sur un traitement alternatif contre le paludisme à la Maison de l’Artémisia à Paris. Dans ses expériences, il a testé l’un des principes actifs de la plante (appelé artémisinine), qui soigne la malaria et pourrait guérir aujourd’hui le Covid-19.
Invité Afrique de Sputnik France, le 20 mai, aux côtés du professeur Jérôme Bonny –un cardiologue camerounais qui a critiqué le protocole du professeur Didier Raoult– et du professeur Ndèye Coumba Touré Kane –une virologue sénégalaise, spécialiste du VIH-Sida–, il a catégoriquement démenti être le «père» du Covid-Organics ou CVO, comme certains articles de presse l’ont laissé entendre.
«Je crois que l’origine de cette rumeur vient du fait que lorsque nous avons commencé à travailler sur les raisonnements cliniques, les rationnels et la revue de la littérature sur l’efficacité possible de l’artémisinine sur le SARS-CoV-2, c’est Madagascar qui a répondu en premier», a rétorqué le Dr Jérôme Munyangi au micro de Sputnik France.
Présenté par le Président de Madagascar Andry Rajolina comme un «remède traditionnel amélioré à base d'artémisia et de plantes endémiques, curatif et préventif», contre le coronavirus, le CVO a soulevé beaucoup d’espoirs, mais aussi de nombreuses interrogations. À l’issue d’essais cliniques effectués dans la Grande Île par l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA) mais sur un très petit échantillonnage, le chef de l’État a estimé qu’ils étaient suffisamment concluants pour commencer à distribuer ce remède aux Malgaches.
D’abord sceptique sur les vertus du CVO en tant que médicament, l'Académie de médecine de Madagascar s’est finalement ravisée, dans un communiqué qui a fait couler beaucoup d’encre. À condition qu’il soit utilisé sous forme de «tambavy» (décoction en langue malgache, ndlr), les médecins de Madagascar ne s’opposent plus à sa prise, mais la laisse «à la libre appréciation de chacun sous réserve du respect de la dose indiquée, notamment pour les enfants».
Mais pour le Président malgache, le principal problème du CVO, c’est qu’il vient d’Afrique. Par conséquent, ce «remède» a été rejeté par la communauté scientifique comme n’étant pas valable. Une façon, selon lui, de barrer la route au continent qui ne peut pas exporter, ainsi, les bienfaits de ses plantes endogènes –souvent considérées comme des «potions» artisanales.
Un antidote simple et bon marché
Ce n’est pas l’avis du Dr Jérôme Munyangi qui prône des essais cliniques rigoureux afin de déterminer si l’artémisine utilisée dans la tisane de CVO est susceptible de soigner le Covid-19.
«Nous sommes en train de travailler sur un protocole clinique que nous avons présenté il y a deux jours (lundi 18 mai) devant le Conseil scientifique de la RDC qui l’a réévalué. Car nous aimerions faire la promotion de l’artémisinine, pas du CVO. Ce n’est pas le rôle d’un scientifique de promouvoir un remède, surtout si celui-ci n’a pas été élaboré selon des règles scientifiques rigoureuses», insiste le chercheur.
Madagascar est un gros producteur d’artémisinine, extraite de l’artémisia par la société Bionex. Ce qui explique, selon l’infectiologue congolais, que le Président Andry Rajoelina ait voulu saisir cette opportunité pour positionner son pays avec un remède facile et bon marché afin de doter l’Afrique d’un antidote contre l’épidémie.
«L’OMS a eu raison d’avertir sur l’artémisia»
Au sujet du revirement de l’OMS en 2012, il admet que le principe de précaution ait pu jouer. Après avoir reconnu l’efficacité du principe actif de l’artémisinine dans le traitement de la malaria, qui tue des milliers de personnes chaque année sur le continent, l’OMS s’était rétractée, appelant à la plus grande prudence.Des pays comme la France et la Belgique avaient pris très au sérieux ce principe de précaution, interdisant purement et simplement la vente d’artémisia sur leur territoire.
«Ce revirement est justifié car l’OMS s’est basée sur des recherches concernant la standardisation et la posologie dans la prise d’artémisia par les personnes souffrant de la malaria. Ainsi, on peut comprendre que face à un problème de santé publique d’une telle ampleur, les risques de résistance à l’artémisinine aient été mis en avant», explique au micro de Sputnik France le Dr Jérôme Munyangi
Sous la supervision du professeur Francine N’Toumi, grande spécialiste des maladies infectieuses et référence incontestée en Afrique pour toutes les recherches menées sur le paludisme, la task force «Artemisia for Africa» entend désormais élaborer des protocoles «irréprochables», dit-il. Le but est de publier dans les meilleurs délais les résultats de tous les essais cliniques qui sont actuellement menés sur le continent.