«Abobo est là», cette chanson de l’artiste de coupé-décalé Fally Poseidon censée rendre hommage à Abobo –l’une des plus vastes et des plus peuplées des dix communes qui composent Abidjan, la capitale économique ivoirienne– connaît un succès aussi inattendu qu’inquiétant.
En effet, plusieurs vidéos sont apparues ces derniers jours sur la toile, mettant en scène des adolescents qui ont jugé bon d’exécuter sur ce morceau des chorégraphies dans lesquelles les armes blanches ont la part belle.
Surpris par ce détournement de son opus, Fally Poseidon, dont l’intention était d’afficher «l’image d’Abobolais (habitants d’Abobo) fiers et combatifs malgré l’adversité et les coups de la vie», a tôt fait de réagir:
«L’image d’Abobo est déjà ternie, mieux vaut ne pas en rajouter. Si l’intention réelle de ces jeunes, comme il le semble, est de me soutenir et promouvoir leur commune, il convient alors qu’ils poursuivent ce challenge, mais sans plus brandir d’armes blanches», a-t-il déclaré dans une vidéo postée sur sa page Facebook.
Si ce énième challenge est loin de laisser indifférent les internautes, au point que certains appellent les autorités à interdire la publication de pareilles vidéos, c'est parce que voir ces jeunes –couteaux ou machettes à la main, l’air menaçant– évoque inévitablement une réalité qui effraie plus d'un Abidjanais: celle des «microbes», dont Abobo est considéré comme étant le fief.
La psychose des «microbes»
Les «microbes» sont des bandes de jeunes adolescents ultra-violents, le plus souvent enfants de la rue, désœuvrés et qui ont longtemps terrorisé les Abidjanais.
La particularité de ces «enfants en conflit avec la loi», comme les appellent les autorités ivoiriennes, est qu’ils n’hésitent pas à se servir de l’arme blanche pour dépouiller et lacérer quiconque se trouve sur leur chemin.
Ces dernières années, les opérations de sécurisations menées tambour battant par les forces de l’ordre, combinées aux actions de sensibilisation des populations et au programme de resocialisation de ces jeunes délinquants, ont considérablement fait baisser leurs exactions.
Mais le phénomène subsiste et son évocation suscite toujours autant l’attention. Et il devrait perdurer longtemps encore. En effet, selon le sociologue ivoiro-béninois Francis Akindès, cette réalité est liée à la pauvreté.
«Si le phénomène est né à Abobo, c’est parce que cette commune d’Abidjan concentre le plus de pauvres. Et tant qu’il y aura la pauvreté, il y aura des "microbes"», avait-il déclaré lors d’un entretien accordé en octobre 2019 à Sputnik.
Le professeur avait par ailleurs présenté le cas des «microbes», de même que les frasques observées sur Internet impliquant des adolescents, comme étant le reflet d’une «société ivoirienne en pleine déliquescence».
«La société ivoirienne se dégrade. Les valeurs, le rapport au travail comme à l’argent, les rapports interhumains… tout se dégrade. Il y a vraiment de quoi s’inquiéter», avait-il poursuivi.
Pour Francis Akindès, le seul moyen d’inverser le processus passe par une «refonte du système éducatif ivoirien qui est actuellement dans un état inquiétant», la lutte contre la pauvreté et «la mise en place d’une véritable politique de l’emploi».
La commune martyre
«Abobo-la-guerre». Encore aujourd’hui, la commune a du mal à se départir de ce surnom que lui a donné l’artiste musicien Daouda Le Sentimental dans l’une de ses chansons, en 1975. D’autant plus que 35 ans plus tard, lors des violences postélectorales de 2010-2011, elle a été le théâtre d’une guérilla urbaine particulièrement sanglante.
Administrée depuis 2018 par Hamed Bakayoko –qui se trouve être le ministre de la Défense et accessoirement le Premier ministre en raison de l'indisponibilité d'Amadou Gon Coulibaly, en France depuis début mai pour des soins médicaux–, Abobo est probablement la commune d’Abidjan qui jouit de la plus mauvaise réputation.
En tout cas, c'est celle où la criminalité est volontiers présentée comme endémique et qui compte vraisemblablement le plus de démunis.
Pour changer l’image d’Abobo et surtout améliorer les conditions de vie des populations, le gouvernement ivoirien a engagé en 2017 un vaste programme d’urgence estimé à 173 milliards de francs CFA (263,7 millions d’euros).