Confinement, loi Avia: «Le pouvoir en France ne repose plus que sur la violence et la terreur»

© AFP 2024 STEPHANE DE SAKUTINLa députée Laetitia Avia, à l'Assemblée nationale (image d'illustration).
La députée Laetitia Avia, à l'Assemblée nationale (image d'illustration). - Sputnik Afrique
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Après le déconfinement, le plus urgent était-il de faire plancher le Parlement sur la loi contre la «haine» en ligne? Oui, pour le gouvernement qui a jugé bon de la faire passer en procédure accélérée. Mais pour l’essayiste Lucien Cerise, cela témoigne d’une «gestion carcérale» de la société. Au confinement physique succéderait celui de la parole
«À vous mes chers trolls, haters, têtes d’œufs anonymes, qui vous croyez seuls cachés derrière vos écrans, qui êtes infiniment petits et lâches, sachez que nous nous battrons pour vous trouver, vous mettre face à vos responsabilités, nous nous engageons, c’est la fin de l’impunité.»

C’est ainsi que la députée Laetitia Avia s’est exprimée le 13 mai dernier pour défendre sa loi contre la «cyberhaine» devant l’Assemblée nationale. Une désignation aussi claire, avec la promesse d’une traque, par une représentante de la Nation d’un ennemi de l’intérieur est assez rare pour être soulignée.

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Pour Lucien Cerise, essayiste et auteur notamment de Gouverner par le chaos (éd. Max Milo), une telle approche du pouvoir relève d’une «gestion carcérale de la société». «C’est simplement la continuité de ce que nous vivons en France depuis un peu plus de deux décennies, explique-t-il à Sputnik. Il s’agit d’utiliser des méthodes issues de la criminologie fondées sur la notion de justice prédictive. Dans ce paradigme, il n’y a plus vraiment de différence entre la prison et la liberté.»

«Il devient difficile pour le pouvoir de prétendre donner des leçons à la Chine ou à la Corée du Nord, le pouvoir en France ne repose plus que sur la violence et la terreur, la terreur intellectuelle. Réprimer la parole, c’est le meilleur moyen de faire exploser la violence physique. Le but de cette loi n’est pas de pacifier la société, mais au contraire d’exacerber les tensions», estime Lucien Cerise.

Confinement physique et confinement mental

Faisant également référence à la longue «insurrection» des Gilets jaunes et sa «répression», il poursuit: «Le pouvoir se livre à un harcèlement physique –avec le confinement– et psychologique de la population.»

Une «police de la pensée», selon l’expression de l’écrivain George Orwell? De fait, en février dernier, Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, avait déclaré sur France Info qu’il était nécessaire de «rétablir la peur du gendarme» sur Internet. Et d’ajouter, dans le contexte alors de l’affaire du candidat malheureux à la mairie de Paris Benjamin Griveaux: «Il y a en ligne une quasi-impunité […]. Aujourd’hui, on considère communément que ce qui est en ligne, c’est moins grave que ce qui est commis dans la vraie vie. Il faut inverser la logique.» Et à bien des égards, la mise en œuvre concrète de la loi Avia incarne cette inversion. Selon ses dispositions, les opérateurs de plateformes virtuelles et de réseaux sociaux (Facebook, Twitter,  YouTube...), mais aussi les moteurs de recherche comme Google seront obligés de retirer dans un délai de 24 heures tout contenu «manifestement» illicite. Pour cela, le signalement d’une ou plusieurs personnes suffira.

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En outre, c’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dépoussiéré pour l’occasion, qui se retrouve au cœur du dispositif de censure. Une autorité administrative, en capacité d’infliger des amendes records aux opérateurs de la toile, qui se substitue aux tribunaux et dont le président est nommé directement par l’Élysée. C’est d’ailleurs Emmanuel Macron qui a initié en mars 2018 l’élaboration de la loi en la confiant à Laetitia Avia ainsi que deux autres personnalités –l’écrivain Karim Amellal et Gil Taïeb, le vice-président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). «Depuis quelques années, les forces du mal se sont saisies de cet outil précieux [Internet, ndlr], le détournant de son objectif premier pour le faire muter et l’utiliser pour propager la haine et l’obscurantisme», expliquait alors celui-ci dans la Tribune juive.

Pour autant, le dispositif recèle plusieurs défauts. Les contrevenants devront ainsi contester le retrait des contenus incriminés auprès du CSA, dont on peut craindre qu’il ne soit très vite débordé par les signalements et les recours. En outre plane le risque de voir les plateformes numériques retirer préventivement des contenus jugés «gris». «La loi Avia est une tentative maladroite de censure, mais dans son intention, elle s’inscrit dans un projet de contrôle généralisé», estime Lucien Cerise. Et d’ajouter:

«Mais c’est à double tranchant et cela peut se retourner contre les censeurs, c’est d’ailleurs ce que l’on constate déjà sur les réseaux sociaux, avec des détournements. Des gens peuvent se dire: "Dès qu’on voit du racisme antiblanc, nous on va utiliser l’opportunité de cette loi."»

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Reste donc à voir comment ce nouveau droit encadrant la liberté d’expression va concrètement s’appliquer. Plusieurs associations et organisations ont tiré le signal d’alarme, parmi lesquelles la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNDH) ou la Ligue des droits de l’Homme (LDH). La loi est à ce point controversée que la controverse a dépassé les frontières de l’Hexagone.

La République tchèque a ainsi émis des réserves en novembre 2019. Et la Commission européenne a épinglé la France, dénonçant une restriction disproportionnée de la circulation de l’information entre citoyens européens. Avec pour résultat de bloquer la navette parlementaire du texte une première fois en juillet 2019. Pour autant, le gouvernement semble avoir voulu en finir. Le secrétaire d’État au Numérique Cédric O a précipité le jeu parlementaire pour faire adopter la loi en dernière lecture par les députés le 13 mai. Afin de profiter de l’effet de surprise d’un pays sortant à peine du déconfinement?

Ultime grain de sable possible, le groupe Les Républicains (LR) du Sénat a annoncé le 14 mai vouloir saisir le Conseil constitutionnel. «Cette loi porte atteinte à la liberté d’expression et elle est juridiquement faible. Elle nous paraît incompatible avec le respect de nos libertés publiques», a déploré Bruno Retailleau, chef de fil LR de la Chambre haute.

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