Qui n’a jamais entendu parler du régiment Normandie-Niémen dont les pilotes ont participé aux attaques contre les forces de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale sur le front russe? Maurice Guido, Pierre Pouyade, Fernand Pierrot: dans des entretiens accordés à Sputnik, les enfants de ces trois pilotes français se sont souvenus de leur père.
Maurice Guido
Maurice Guido est né le 1er février 1915 à Tende, un gros bourg médiéval bâti à flanc de montagne et situé à l'époque en Italie. Son père est berger et guide de haute montagne, sa mère agricultrice.
«À l'âge de six ans, il découvre pour la première fois un biplan qui survole la vallée. Après l'avoir longuement observé, le garçon dit à son père: "Un jour je conduirai un aéroplane...". Il a été moqué, bien évidement, lorsque ça s'est su dans le village», raconte sa fille, Anne-Marie Guido.
M.Guido effectue sa scolarisation à Tende, obtient le certificat d'études italien à 14 ans. Comme les jeunes des villages de l'arrière-pays limitrophes avec la France, il part «faire la saison d’hiver», c'est à dire travailler comme groom ou chasseur dans les hôtels de la côte d'Azur où il parfait son français et son éducation. L'été, il revient chez lui pour aider ses parents et s'adonne à la passion héréditaire de la chasse au chamois.
«À dix-huit ans, il décide d'ignorer l'appel sous le drapeau de Mussolini, et, condamné à mort pour désertion, il fuit en France. Il obtient la naturalisation française en s'engageant comme soldat dans l'Armée de l'air le 11 février 1935. Il est affecté à la base aérienne de Lyon où il effectue sa période d'instruction et ses classes. Il est élève pilote à Ambérieu (Ambérieu-en-Bugey actuellement, ndlr), il passe par Avord, Istres, Salon-de-Provence», poursuit Mme Guido.
Après l'armistice de 1940, Maurice se rend à un bureau des Forces françaises libres et signe son engagement dans la Résistance. Il se retrouve à Marrakech (Maroc), à Oran (Algérie), puis à Kasba-Tadla (Maroc) pour entraîner de futurs moniteurs. Il y rencontre le capitaine Louis Delfino (en 1964, celui-ci sera nommé Inspecteur général de l'Armée de l’air) qui l'invite à rejoindre le régiment Normandie au plus vite.
Après avoir eu à subir des complications et des détours de voyage, il arrive en Russie, plus exactement à Antonovo, le 17 octobre 1944 et participe à la troisième campagne de Prusse-Orientale du régiment désormais nommé Normandie-Niémen. La paix déclarée, le 20 juin 1945, le sous-lieutenant Guido se pose au Bourget à bord de son avion Yak, cadeau de Staline à chaque pilote, avec ses camarades survivants du régiment le plus décoré de l'Armée de l'air française. Il a quatre victoires à son actif.
«Mon père n'était guère bavard, ce n'est qu'après avoir vu le film Normandie-Niémen, en 1961 en avant première à l'Ambassade d'URSS, à 13 ans, que j'ai compris la guerre qu'il faisait, jusqu'ici j'étais juste au courant de son métier de militaire, de son séjour au Laos. Lorsque je lui posais des questions, il disait qu'il partait en mission pour chasser les avions allemands du ciel de Russie et, ce qui l'amusait beaucoup, qu'il parlait en patois de Nice avec Delfino à la radio pour que l'ennemi ne comprenne pas les ordre donnés», se rappelle sa fille. Et d’ajouter:
«Il me racontait les changements fréquents de base, les moments récréatifs du régiment, comme la pêche à la carpe, la chasse au revolver, la fabrication d'alcool fait maison, les toilettes rapides dans le froid en brisant la glace formée sur l'eau et le manque de nourriture. Il était en admiration devant le dévouement des mécaniciens qui travaillaient toutes les nuits sans gants par un froid extrême pour que les avions soient prêts dès le matin.»
Maurice Guido est décédé le 31 juillet 1983. Il est inhumé dans le cimetière de Tende, où la plus vieille place porte son nom depuis 1947, date à laquelle sa ville natale est devenue française par le Traité de Paris.
Pierre Pouyade
Pierre Pouyade est né à Cerisiers, en Bourgogne, le 25 juillet 1911 dans une famille modeste. Son père s’est ensuite installé à Ségur-le-Château, village de Corrèze que surplombe le château de la comtesse de Ségur. Dès 12 ans, il part en pension aux enfants de troupe, dans un collège militaire.
«Lorsqu’on l’interrogea sur sa jeunesse, il répondit qu’il avait suivi la voie militaire, "parce que sa famille l’y avait encouragé, parce qu’il avait envie de voyager et qu’il était tenté par l’aviation"», indique sa fille, Mme Pouyade.
La gratuité et la qualité de cet enseignement militaire lui ont permis selon elle de faire de solides études et en 1930, ses très bons résultats l’autoriseront à intégrer l’École spéciale militaire de Saint-Cyr.
«Dans ses notes on dit "fanatique de pilotage". C’est ensuite à Versailles qu’il obtient son brevet de pilote en 1934. Au début de la guerre, à 28 ans, il était capitaine et commandait un groupe de chasse de nuit ayant pour mission la protection de la région parisienne contre les bombardements allemands», ajoute sa fille.
Son aéronef sera abattu le 2 juin mais il réussira à sauver ses deux équipiers grièvement brûlés et sera décoré de la Légion d’honneur.
«Dès cette période je découvre la grande sensibilité de Papa, extrêmement atteint par le sort de ses hommes, et au fil des témoignages, on s’aperçoit qu’il a toujours tenté de les protéger.»
Après l’armistice, M.Pouyade choisit une affectation en Indochine. Suite à un voyage en mer de plus de deux mois, il y débarque le 9 février 1941.
«Vichy demande aux pilotes français de collaborer avec les Japonais. Papa refuse et en octobre 1942, il s’échappe pour rejoindre la France libre. Il est alors condamné à mort par Vichy. Il devra faire un voyage de 40.000 kilomètres par Calcutta, l’Afrique puis New York. Il arrivera enfin à Londres pour rejoindre le Général de Gaulle en février 1943», se souvient Mme Pouyade.
Son père est volontaire pour rejoindre le régiment Normandie avec plusieurs pilotes et ils arrivent en URSS en juin 1943, juste au début de la bataille d’Orel. En juillet, Jean Tulasne, le premier commandant, est abattu, et M.Pouyade prend sa place.
Après les batailles d’Orel, de Smolensk et de Koursk, ils n’étaient plus que six pilotes fin 1943: de nouveaux arriveront en 1944.
Mme Pouyade cite l’un d’eux, Roland de la Poype, qui parle de son père, surnommé affectueusement «Pepito» par ses hommes:
«C’est grâce à Pepito que la "mayonnaise" prend entre les premiers et les nouveaux, qui n’étaient pas tous des Français libres», «la bonhommie, l’intelligence, l’allant de Pouyade font disparaitre les dissensions…»
Et sa fille de reprendre: «Il était toujours soucieux du moral de ses pilotes, et de la bonne ambiance du régiment qui en 1944 atteignait avec les mécaniciens, les plieuses de parachutes et autres personnels près de 600 personnes. Il m’a dit qu’à la fin il y avait parfois 10 mécaniciens par avion! Il m’a parlé du courage des mécaniciens russes et des femmes qui s’occupaient de damer le terrain quand il neigeait».
M.Pouyade a abattu six avions en URSS.
«Il nous parlait en général des bons moments, des sorties à Moscou, pas des choses tristes. Il nous racontait parfois la nuit du 10 décembre 1944 avec le Général de Gaulle et Staline avec qui il avait discuté de leurs avions et bu du champagne.»
Les réunions entre anciens et avec les Russes ont duré jusqu’à sa disparition en 1979 à Bandol, sur la Côte d’Azur.
Fernand Pierrot
Fernand Pierrot est devenu pilote via l’Aviation populaire à Strasbourg. Il s’engage dans l’Armée de l’air le 12 novembre 1938. À la déclaration de guerre, il a 19 ans et cinq mois.
«Étant en Afrique du nord, il se porte volontaire pour le groupe de chasse Normandie en août 1943. Il arrive en URSS le 14 janvier 1944, rejoint le Normandie à Toula le 26 janvier 1944», raconte son fils, M.Pierrot.
Malheureusement, Fernand Pierrot est décédé en 1964, lorsque son fils n’avait que 13 ans. N’ayant pas beaucoup de souvenirs de lui, il nous a fourni la citation à l’ordre de l’Armée aérienne par décision n°427 du 22 février 1945:
«Très bon patrouiller habile et réfléchi. Le 17 octobre 1944 a probablement abattu un FW.190 au cours d’une mission de chasse libre. Le 24 octobre 1944 a remporté sa première victoire officielle abattant seul un FW.190 dans la région de Gumbirien (Prusse-Orientale) au cours d’une mission de couverture des lignes.»
Cette citation induit l’attribution de la croix de guerre avec une palme.
Le groupe de chasse Normandie a été créé le 1er septembre 1942. Il devient le régiment Normandie-Niémen en juillet 1944. Ses pilotes ont effectué 5.240 missions aux côtés de l'aviation soviétique de mars 1943 à mai 1945, avec 273 confirmations d’aéronefs ennemis abattus.