Après une fulgurante ascension, le Covid-19 va-t-il sonner l’hallali de la tech africaine?

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Faut-il craindre qu’après avoir drainé plus d’un milliard d’euros d’investissements en 2019, selon le rapport de la Fondation GreenTec Capital Africa et de WeeTracker Media, les start-up africaines soient emportées par le Covid-19? C’est la question que Sputnik France a posée au PDG de GreenTec Capital Africa, Erick Yong. Exclusif.
«Loin de l’image péjorative qu’on lui adossait au début des années 2000, l’Afrique attire désormais les capitaux du monde entier avec ses start-up, comme en témoigne le montant record de 1,3 milliard de dollars (un milliard d’euros) levé par les jeunes entreprises de la tech africaine en 2019. Depuis 2010, la révolution entrepreneuriale ne cesse de prendre de l'ampleur sur le continent, les jeunes sont de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs tantôt portés par un élan visionnaire, tantôt poussés par la nécessité liée à leurs conditions de vie», selon un rapport de la Fondation GreenTec Capital Africa et de WeeTracker Media, dont Sputnik France a eu la primeur.

Ce rapport, intitulé «Sur la route du succès. Les clés des start-up africaines pour contourner les obstacles en chemin», a été rendu public mercredi 29 avril 2020. Il émane de la Fondation GreenTec Capital Africa et de WeeTracker Media, deux entités reconnues dans l'écosystème des start-up africaines, selon ses auteurs, dont l’une est basée en Allemagne et l’autre en Afrique du Sud. 

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Après l’épidémie d’Ebola en 2004, le Covid-19 s'est révélé être un véritable catalyseur d'innovations en Afrique. Les acteurs du digital n’ont eu de cesse de rivaliser d'ingéniosité pour participer à «l'effort de guerre» sanitaire. De ce fait, nombre de médias panafricains posent ouvertement la question de son devenir.

Rédigé avant le 10 mars, date d’annonce de la pandémie, le rapport de la Fondation GreenTec Capital Africa et de WeeTracker Media s’appuie sur un échantillon aléatoire composé de 500 start-up, enregistrées ou opérant en Afrique entre 2008 et 2010. Toutes ont réussi à innover «grâce à une association révolutionnaire de la technologie mobile et de l’Internet», précisent les auteurs.

Parmi elles figurent quelques fleurons de la tech africaine comme Flutterwave (Nigeria), Twiga (Kenya), Kobo (Nigeria/Ghana), Enova Robotics (Tunisie/France), Kudi (Nigeria/Ghana), Sun Exchange (Afrique du Sud), Sky Garden (Kenya), Max.ng (Nigeria) ou MAZA (Ghana).

«54,20% de taux d’échec en Afrique»

Ces jeunes pousses opèrent dans des domaines aussi divers que la fintech, la logistique, le marketplace, les énergies renouvelables, l’e-commerce ou la santé. Les sociétés distinguées dans le rapport ont collecté des montants s’échelonnant entre 35 et 45 millions de dollars. Ces sommes ont même atteint 55 millions de dollars (50 millions d’euros) pour Flutterwave, lors de ses différentes phases de financement, voire 65 millions de dollars (60 millions d’euros) pour Twiga, la start-up la mieux financée d’Afrique.

«Autrefois incapables de s’extraire de ce qu’on appelle la vallée de la mort, les start-up africaines sont désormais une source d’inspiration pour le reste du monde. En une dizaine d’années, ses entrepreneurs ont acquis la réputation d’avoir inventé une innovation frugale, collaborative et essentielle», font valoir les auteurs du rapport.  

En plus d’un retour d’expérience, le but de cette étude était d’évaluer le taux moyen d’échec des jeunes pousses africaines. Celui-ci s’élève à 54,20%, selon ces données, le Rwanda (75%), l’Éthiopie (75%) et le Ghana (73,91%) possédant «les taux les plus élevés sur la période étudiée». Comparé au taux moyen de cessation d’activité des deux autres écosystèmes reconnus –les États-Unis et l’Inde–, celui de l’Afrique reste très en deçà, comme le révèle ce rapport qui ne donne en revanche aucun chiffre pour l’Europe.

«Aux États-Unis, les entreprises créées entre 2008 et 2010 ont connu un taux d'échec de 67% (selon CB Insights), et d’après une étude publiée par The Hindu, 90% des start-up indiennes échouent au cours de leurs cinq premières années d’activité», est-il précisé.

Ces chiffres «ne sont en aucun cas une indication de la santé actuelle de l'écosystème des start-up africaines ou des pays pour lesquels les données ont été analysées», précisent les auteurs du rapport. Ajoutant que ces données ont été «recueillies à l'aide de moteurs de recherche» et «soumises à l’analyse des équipes de recherche de WeeTracker Media», ils ne donnent pas davantage de détails non plus sur la méthodologie employée qui reste, par conséquent, très empirique.

La purge du coronavirus

Cofondateur de GreenTec Capital Partners, le premier fonds d’investissement allemand dans les start-up africaines créé en 2015 à Francfort, Erick Yong était l’invité Afrique de Sputnik France le 17 avril dernier.

Surfant sur la vague d’un engouement de plus en plus avéré pour l’Afrique, le PDG de GreenTec Capital Partners a réussi à faire décoller plus de 100 jeunes pousses sur le continent. Sa méthode: soit en apportant de l’expertise à leur management, soit en les soutenant financièrement via sa fondation GreenTec Capital Africa. 

Un créneau jusqu’ici très porteur, mais dont la dynamique pourrait être stoppée brutalement par l’irruption du coronavirus si rien n’est fait pour aider les start-up à lutter contre le ralentissement de l’activité économique du fait de la pandémie.

«Alors même que nous célébrions le cap de 1,3 milliard de dollars investis dans les start-up africaines en 20191, la tech made in Africa pourrait se retrouver dos au mur si rien n’est fait pour accompagner les jeunes pousses africaines face aux défis provoqués par la crise sanitaire. Plus de 645 incubateurs, en 2019, étaient recensés sur le continent (contre 314 en 2016 et 440 en 2017). Pour les trois premiers mois de 2020, plus de 335 millions de dollars avaient déjà été investis. Mais le coronavirus a débarqué, fauchant brutalement les espoirs légitimement suscités», a commenté Erick Yong au micro de Sputnik France.

Plus de 80% des start-up africaines, qui étaient acclamées hier encore, risquent de disparaître «si des fonds ad hoc ne sont pas mis à leur disposition», prévient-il.

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L’Éthiopie, le Rwanda, le Zimbabwe ou encore le Maroc, des pays où ces sociétés fonctionnent principalement sur fonds propres, seraient selon lui «particulièrement exposés».

«Depuis la mi-mars, nous observons un mouvement de panique face à des perspectives à court terme qui commenceraient par des destructions massives d’emploi», craint le PDG de GreenTech Capital Partners.

Face à cette crise, les acteurs de l’écosystème tentent de mutualiser les solutions de réorganisation permettant de gagner du temps. La mise en place d’opérations coup de poing pour compenser le manque ponctuel de liquidités s’avère, de fait, indispensable.

«Le risque d’échec est bel et bien une réalité pour les start-up en amorçage dont le continent regorge. La plupart des jeunes pousses qui n’avaient pas pu s’assurer un matelas financier suffisant pour affronter pareil tsunami économique –mais qui aurait pu en imaginer l’ampleur?– et qui avaient commencé à créer de l’emploi sont en première ligne», prévient Erick Yong au micro de Sputnik France.

Les start-up à forte croissance, à l’image de la plate-forme de paiements en ligne Flutterwave (Nigeria) ou du spécialiste de la gestion de données Sokowatch (Kenya), que GreenTec Capital Partners conseille, elles, n’ont en revanche rien à craindre. «Elles ne seront pas les plus affaiblies par la crise grâce à des levées de fonds records réalisées en série A en début d’année», estime-t-il.

Construire un pont pour les start-up

Renoncer à maintenir les investissements programmés ou décider de suspendre le support opérationnel mis en place jusque-là «serait une grave erreur», affirme le PDG du premier fonds d’investissement consacré aux start-up africaines en Allemagne. D’où la nécessité pour GreenTec Capital Partners de «passer désormais à l’échelle» avec des partenaires institutionnels tels que l’Agence française de développement (AFD) ou la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), indique-t-il.

«En accordant dès aujourd’hui une somme mensuelle de 5.000 à 10.000 euros pendant trois à cinq mois maximum à des start-up ciblées, nous pourrions préserver les acquis, sans nous disperser dans des programmes improvisés du fait d’une précipitation, non productive, lors de la future reprise», préconise notamment Erick Yong.

Le but, pour lui, est de parvenir à mettre en place un programme de fonds de roulement d'urgence dénommé «Start-up bridge pour l’Afrique», opéré par des fonds d’investissement en complément des fonds débloqués par les États africains. «Cela pourra être fait dans l’esprit des mesures prises en Europe et aux États-Unis en soutien aux entreprises locales», ajoute-t-il,

«Ces mesures permettraient à la tech africaine de poursuivre son ascension de plus belle, tout en préservant les emplois menacés», espère Erick Yong.

Et aussi constituer le meilleur signal à envoyer à tous ces jeunes entrepreneurs africains «qui sont les véritables créateurs d’emploi de demain», affirme-t-il.

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