Traitement médiatique des émeutes: Sputnik donne la parole à la banlieue, grande absente des débats

© AFP 2023 MIGUEL MEDINAle quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie
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Après les émeutes qui ont vu le jour à la suite de l’incident impliquant un motard et des policiers à Villeneuve-la-Garenne, les politiciens et les experts ont largement commenté ces faits dans les médias, se focalisant uniquement sur les incidents et oubliant au passage de donner la parole aux habitants de ces fameux quartiers.

Encore la même ritournelle. À la suite de la blessure d’un motard par la police à Villeneuve-la-Garenne, des émeutes ont éclaté dans des banlieues françaises. Des agissements graves qui ont fait la une des journaux, à raison, mais qui ont de nouveau démontré les travers du traitement médiatique de ces quartiers. Si les politiques et experts en tout genre ont abondamment commenté le sujet, les habitants de ces banlieues, ou responsables associatifs, sont aux abonnés absents. Or, ces problématiques les touchent au quotidien.

Pour le président de l’association Banlieue Plus Nadir Kahia, ne pas avoir voix au chapitre est «difficilement compréhensible». «Malheureusement, on n’a pas attendu cet événement pour le remarquer», déplore-t-il.

«Pour faire changer un peu les choses, cela passe par l’image. J’essaie donc de sensibiliser les médias avec d’autres associations et des citoyens engagés mais c’est très difficile […]. Je pense qu’ils ont des lignes éditoriales qui font que l’on est mis de côté, on ne peut pas participer aux débats. C’est vrai que c’est gênant.»

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En effet, après la reconstitution par la préfecture de Police de Paris des événements survenus dans la nuit du 18 au 19 avril à Villeneuve-la-Garenne, où l’on apprenait que le motard conduisait «sans casque», une moto-cross «non homologuée» durant le confinement, est venu le temps de la présentation de ses multiples antécédents judiciaires.

Traitement médiatique parfois biaisé

Bon nombre de commentateurs ont donc insisté sur son pedigree pour, d’une certaine manière, relativiser les faits.

«C’est la rhétorique classique des médias et de certains policiers de dire: ‘ne vous focalisez pas sur l’incident ou cette violence mais plutôt sur le passif, sur le CV de la personne.’ C’est hyper-violent parce que quelque part, c’est un déni de justice […] Cela nous explique que certains citoyens n’ont pas droit à la même justice», estime Nadir Kahia.

Un discours qui conditionne, en partie, le point de vue des Français n’habitant pas ces zones géographiques. «Les gens qui n’y vivent pas ne peuvent pas comprendre. Il y a la délinquance, les violences et les incivilités d’un côté qui entraînent un ras-le-bol général de l’opinion publique. Néanmoins, dire aujourd’hui que l’on est aussi victime de cette violence, mais également de celle des institutions et d’une certaine police, ils ne l’entendent pas», regrette Nadir Kahia.

«On fait soit référence à une ethnie, à une origine sociale et non pas à des éléments factuels. On entend souvent: "C’est bien fait, il n’avait qu’à ne pas être délinquant." Quelque part, on accepte cette injustice parce que cette personne est issue des quartiers populaires ou a un passé de délinquant. C’est inacceptable dans un pays de droit.»

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Pourtant, cette relation conflictuelle avec les forces de l’ordre fait partie du lot quotidien des habitants des banlieues. Un rapport compliqué qui nourrit les défiances des deux côtés et exacerbe les tensions, notamment lors des contrôles policiers, point de départ de nombreux incidents. Si bien que même pour les personnes n’ayant a priori rien à se reprocher, la crainte de se faire contrôler reste vivace.

Rapport compliqué entre «jeunes» et forces de l’ordre

Une enquête publiée en 2017 par le Défenseur des droits révélait que les jeunes hommes «perçus comme noirs ou arabes» ont «une probabilité 20 fois plus élevée que l’ensemble de la population d'être contrôlés» et vivent «des relations plus dégradées avec les forces de l'ordre». Ces «jeunes» rapportaient avoir davantage été tutoyés (40% contre 16% de l'ensemble de la population), insultés (21% contre 7%) ou brutalisés (20% contre 8%) lors du dernier contrôle qu'ils ont vécu. Comment expliquer cette situation? Pour Nadir Kahia, l’orientation politique de certains policiers peut donner un élément de réponse.

«Des sondages montrent qu’une partie de la police adhère aux idées du Rassemblement national. Il ne faut pas généraliser, mais il y a peut-être un lien. On l’a vu avec la scène qui s’est déroulée à l’Île-Saint-Denis, vous avez encore des policiers qui ont des propos extrêmement violents, voire carrément racistes.»

Au-delà de possibles a priori à l’égard des «banlieusards», selon le responsable associatif, cette relation explosive est consécutive à la «non-réponse judiciaire consécutive à des bavures».  «Depuis des années, la justice n’est pas capable de reconnaître des faits de violences policières […] Il y a une sorte d’impunité qui fait qu’à chaque incident, ça brûle car il y aussi un manque de justice.»

Nécessité de s’engager politiquement

En outre, le militant n’hésite pas à dénoncer cet état de fait ou «le manque de réelle volonté politique pour changer la donne dans les quartiers populaires». Et pour cause, la classe politique constate depuis de nombreuses années qu’il existe en France un apartheid social, territorial et ethnique qui se crée, sans y remédier efficacement. Il tient aussi à souligner les comportements paradoxaux des habitants de ces zones géographiques. Nadir Kahia regrette leur «faible engagement politique». Condition sine qua none pour «créer un rapport de force et reprendre la parole».

«On le voit par exemple lors des élections présidentielles où la majorité s’abstient […] Aux municipales, il y a de plus en plus de listes citoyennes, indépendantes, mais on n’arrive pas à passer ce palier. Les habitants de ces quartiers sont en contradiction avec leur volonté de vouloir réparer ces injustices et le manque d’équité qui existe en France», conclut Nadir Kahia.
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