«Macron n’a écouté personne»: la reprise de l’école à partir du 11 mai sera «un bordel sans nom»

© REUTERS / GONZALO FUENTESEmmanuel Macron portant un masque de protection
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Proposée par le Premier ministre, la réouverture progressive des écoles maternelles et élémentaires à partir du 11 mai inquiète syndicats, enseignants et parents d’élèves. Pour l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli, le «manque d’organisation» sera à l’origine de bien des difficultés. Il a confié son analyse au vitriol à Sputnik.
«Je n’apprécie pas particulièrement Édouard Philippe, mais je pense qu’il est coincé entre un Président Macron qui parle désormais comme un prophète et la réalité du terrain que lui remonte le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer.»

L’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli plaint la position d’Édouard Philippe, Premier ministre, concernant la très complexe question de la réouverture des classes après la fin du confinement. Le 28 avril, lors d’un discours à l’Assemblée nationale, ce dernier a proposé «une réouverture très progressive» des écoles maternelles et élémentaires à partir du 11 mai, «partout sur le territoire, et sur la base du volontariat». Avec un impératif: 15 élèves maximum par classe.

Des décisions trop «parisiennes»?

«Je n’aimerais pas être à la place d’Édouard Philippe, car il a dû se débrouiller pour présenter une sauce à peu près appétissante pour tout le monde et qui, évidemment, ne satisfait pas de très nombreuses personnes», explique Jean-Paul Brighelli. Il poursuit:

«Lorsque l’on a décrété le confinement le 16 mars, j’ai eu accès à des informations en provenance du ministère qui indiquaient que la fermeture des écoles durerait au moins 45 jours, soit jusqu’à fin avril. À ce moment-là, la même source m’a parlé d’un possible retour en classe à partir du 18 mai. De telles informations ont filtré et cela a dû déplaire à l’Élysée. Emmanuel Macron, sans consulter personne, ni le conseil scientifique qu’il a mis en place, ni Blanquer, ni Philippe, a décidé de la date du 11 mai.»

La question de la reprise de l’école, alors que l’épidémie de coronavirus, responsable d’au moins 23.600 morts en France au 29 avril, n’est toujours pas maîtrisée, agite syndicats, enseignants et parents d’élèves.

 

​De nombreux membres du corps enseignant ont d’ores et déjà fait part de leur volonté de ne pas reprendre du service. Quant aux parents d’élèves, beaucoup d’entre eux ne souhaitent pas renvoyer leurs enfants en classe pour le moment. Selon un sondage OpinionWay pour Les Échos publié le 29 avril, les personnes interrogées ne sont que 49% à approuver la réouverture des écoles le 11 mai.

«Faire rentrer les plus petits à partir du 11 mai a du sens, car il est nécessaire de faire repartir la machine économique. Mais vu comment cela a été organisé, cette date intervient trop tôt. Pas par rapport au virus qui sera encore là dans un an, voire deux, mais par rapport au protocole sanitaire nécessaire. Vous avez un grand nombre d’établissements scolaires en France où il est difficile de se laver les mains. Aura-t-on assez de gel? De savon? J’en doute. La réouverture des classes va pâtir ce manque d’organisation», détaille Jean-Paul Brighelli.

«On ne comprend plus rien: on a un discours de prudence sur tout, sauf sur l’école. Pourquoi faut-il se dépêcher de rouvrir les classes de maternelle et primaire, alors que ce sont des lieux de grande promiscuité?» s’alarme Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp-FSU, premier syndicat du primaire.

​«On nous dit que c’est 10 personnes maximum partout, et en classe c’est 15, on dit non», ajoute-t-elle.

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Elle demande notamment «des précisions sur le protocole sanitaire». Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat SE-Unsa, affirme que «la reprise pour les écoles, telle que présentée, est inacceptable et impossible». Selon lui, «il y a zéro cadre sanitaire».

Même son de cloche du côté de Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Élèves), première fédération de parents d’élèves. Il souhaite que «les conseils d’école puissent être convoqués très rapidement pour savoir comment tout ça peut être mis en place» et regrette le «flou total, qui crée de l’inquiétude chez les parents».

«Les écoles primaires dépendent des municipalités, les collèges, des départements et les lycées, des régions. Une réouverture des classes qui se passerait dans de bonnes conditions demanderait une architecture d’entente qu’il n’est pas possible de mettre en place en 15 jours. De plus, encore une fois, tout est organisé dans un esprit très parisiano-centré. Dans de nombreuses régions où les parents habitent loin de l’école, les élèves dépendent du ramassage scolaire. Encore une fois, cette rentrée des classes post-confinement sera très compliquée», souligne Jean-Paul Brighelli.

L’auteur du remarqué «La fabrique du crétin», brûlot contre l’Éducation nationale (Éd. Jean-Claude Gawsewitch), critique également le rôle des médias dans cette crise: «Le discours terrorisant qui est celui des médias depuis deux mois va pousser de nombreux parents à ne pas envoyer leurs enfants en classe. Soit parce qu’ils sont inquiets pour eux ou qu’ils craignent qu’ils ramènent le virus à la maison.»

«J’étais pour ma part pour une reprise prudente et concertée. Pas forcément générale. L’organisation de cette reprise, parisienne, jacobine et pyramidale est ridicule. Il fallait faire au cas par cas. En Lozère, on aurait très bien pu déconfiner avant les zones qui sont des foyers de l’épidémie. On nous parle de départements verts et rouges, mais l’on nous prend pour des imbéciles. Les gens connaissent très bien les zones à risque. Mais l’agitation médiatique a été telle que même dans les régions présentant peu de danger, il sera compliqué de remettre tout le monde au travail», poursuit-il.

Concernant les collèges, le Premier ministre a annoncé qu’«à compter du 18 mai, mais seulement dans les départements où la circulation du virus est très faible, nous pourrons envisager d’ouvrir les collèges, en commençant par la 6e et la 5e». Un choix qu’a du mal à comprendre Jean-Paul Brighelli: «Je comprends la volonté de faire rentrer les 6e, mais à place des 5e, je me serais plus attendu à faire revenir en classe les 3e afin de valider le brevet. Quoi qu’il en soit, faire rentrer les 6e et les 5e le 18 mai sera difficile. Les classes sont souvent surchargées».

Droit de retrait massif de la part des enseignants?

Le 27 mars, Jean-Michel Blanquer avait précisé que le gouvernement se prononcerait «fin mai» sur la réouverture des classes de 4e et de 3e, après l’obtention de «garanties totales» sur le plan sanitaire. Et pour les plus grands?

«Concernant les classes post-Bac, comme les BTS ou les classes de prépa, c’est le flou artistique. On ne sait pas si elles reprendront avant l’été, alors que les universités ont d’ores et déjà décidé de tout remettre au mois de septembre. C’est un bordel sans nom», se désole Jean-Paul Brighelli.

Au sujet des risques sanitaires, l’essayiste pointe davantage la dangerosité pour certains membres du corps enseignant que pour les enfants: «Les risques sanitaires existent. Les enfants ne craignent pas grand-chose, mais l’âge moyen des profs est d’environ 45 ans. Cela signifie qu’un grand nombre d’entre eux appartiennent à la génération des baby-boomers et représentent donc une population à risque. Cela va forcément poser des problèmes monstrueux. Légalement, les professeurs auront du mal à exercer leur droit de retrait. Qu’ils se méfient, car des retenues de salaire pourraient très bien être pratiquées. Cependant, il est toujours possible pour certains d’obtenir un certificat médical attestant du risque trop grand de se retrouver en face d’enfants possiblement porteurs du virus.»

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Sur le droit de retrait, le site Village-justice.com explique qu’«un exercice généralisé du droit de retrait des enseignants à partir du 11 mai sera fragilisé juridiquement». «En revanche, pour certains agents considérés comme “à risque” au regard de l’état des connaissances scientifiques sur le Covid-19, c’est-à-dire les enseignants âgés ou pouvant justifier médicalement d’une pathologie particulière (ex: diabète, maladies respiratoires, etc.), l’exercice du droit de retrait pourrait au cas par cas s’envisager. En tout état de cause, il sera nécessaire que l’agent puisse justifier, au besoin devant le juge, de la réalité de la pathologie en question, qui ne saurait pouvoir reposer sur de simples allégations (des certificats médicaux seront nécessaires). Toute pathologie ne pourra pas en outre justifier le droit de retrait des enseignants, là encore en fonction de la consistance des mesures prises par le gouvernement pour protéger les agents dans les classes», précise le site Web spécialisé dans les questions légales.

Quoi qu’il en soit, les premiers couacs interviennent déjà. Ainsi, Henri Fauqué, maire de Saulce-sur-Rhône, petite commune de la Drôme, a confié le 29 avril à l’AFP qu’il ne rouvrirait pas l’école de la ville pour des raisons sanitaires. «Je maintiens ma position. Le 11 mai, je garderai les clés de l’école dans ma poche». L’édile a même pris un arrêté en ce sens. Et refuse de le retirer… comme le demande la préfecture.

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