Le gouvernement va-t-il faire sortir le pays du confinement comme il l’y a fait entrer, avec son lot de couacs? Alors que le Premier ministre doit présenter son plan de sortie devant l’Assemblée ce 28 avril, les critiques commencent déjà à pleuvoir. Et l’opposition –«les oppositions», au pluriel, selon le nouveau jargon– n’entend pas se contenter d’un simple rôle de spectateur.
Après plusieurs faux-pas, en particulier sur les modalités de réouverture progressive des écoles, le gouvernement tente de redonner de la lisibilité à son action. Mais en réalité, l’essentiel des polémiques couvait déjà: impréparation, messages contradictoires, improvisation, absence de moyens, notamment la disponibilité du masque «grand public» promis. Aussi, le grand oral d’Édouard Philippe dans l’hémicycle s’annonce-t-il délicat.
Rôle de figurant pour l’Assemblée nationale?
Mais c’est sans doute le timing à marche forcée du vote du train de mesures par le Parlement qui est en passe de mettre le feu aux poudres. Le gouvernement a prévu de faire procéder au scrutin dans la foulée de l’exposé du Premier ministre. Les représentants de la Nation seraient ainsi tenus de se prononcer sur le détail d’un dispositif dont ils viendraient à peine de prendre connaissance.
Aussi, alors que l’étau du confinement et l’injonction à «l’union sacrée» se font moins pressants, la politique reprend-elle ses droits. Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise (LFI), a dénoncé avec virulence le procédé lors de l’émission «Dimanche en politique», sur France 3.
«Édouard Philippe va arriver mardi devant l’Assemblée nationale et nous réciter son discours, nous dire quelles seront les mesures et ensuite, séance tenante, sans aucun temps de réflexion ni d’examen critique, nous devrons voter pour ou contre», a-t-il déploré.
«C’est une méthode insupportable», a encore constaté le député, très remonté, évoquant une «imposture». Et de lâcher: «Ça a l’air d’être de la démocratie, c’est seulement de la brutalité.»
Toujours à gauche, au Parti socialiste (PS), Olivier Faure a fustigé de son côté l’impréparation, selon lui, du gouvernement:
«La réalité, c’est que le plan du gouvernement n’est pas encore prêt, que rien n’est prêt pour le 11 mai», a-t-il déploré sur BFMTV le 26 avril.
Et le socialiste de plaider pour «que le vote puisse intervenir que lorsque nous aurons l’intégralité des solutions proposées», afin que «nous ayons la possibilité de voter en conscience». Olivier Faure énumère quelques-unes des interrogations qui se posent encore à ce stade: «Est-ce que les enfants porteront un masque, est-ce que les enseignants porteront un masque et seront testés avant de rentrer à l’école?» Ce sont «toutes ces questions qui taraudent les Français et pour lesquelles il n’y a pas de réponse», fustige le président du groupe socialiste, écologiste et républicain à l’Assemblée nationale.
À droite, le député européen Jordan Bardella (Rassemblement national), bien qu’à l’autre extrémité du spectre politique, abonde dans le même sens. «Ce qui est fascinant chez La République en marche, c’est qu’ils arrivent à se mettre systématiquement tout le monde à dos», a-t-il estimé ce 26 avril. Et de poursuivre, sur Twitter:
«Édouard Philippe va donc présenter son plan de déconfinement, plan le plus important du quinquennat pour le pays, sans que l’Assemblée nationale ne puisse en débattre sérieusement? Cette gestion au pifomètre de la crise devient vraiment inquiétante!»
« @EPhilippePM va donc présenter son plan de déconfinement, plan le plus important du quinquennat pour le pays, sans que l'Assemblée nationale ne puisse en débattre sérieusement ? Cette gestion au pifomètre de la crise devient vraiment inquiétante ! » #Covid19 @BFMTV pic.twitter.com/1Y3zKLQ9rh
— Jordan Bardella (@J_Bardella) April 26, 2020
Autre avertissement pour l’Élysée et Matignon: la grogne gagne jusque dans les rangs de La République en marche (LREM).
Même la majorité présidentielle a des états d’âme
En cause, un autre pari risqué d’Édouard Philippe, qui consiste à coupler au reste du dispositif destiné à régir la vie quotidienne des Français pour les mois à venir la question du traçage du coronavirus –et donc, de la population– à l’aide de l’application numérique controversée StopCovid. «Si l’on dit que l’on n’est pas satisfait, on ajoute du trouble. Mais je m’interroge sur le fonctionnement de notre vie parlementaire», s’inquiète avec tact, auprès du Parisien, un député LREM sous couvert d’anonymat. S’agissant de ses réserves, le marcheur Aurélien Taché se fait, lui, plus clair:
«Un vote unique sur le plan déconfinement (et donc sans possibilité de se prononcer sur le traçage numérique en tant que tel) et avec un nombre aussi réduit de députés ne correspond pas, au regard des enjeux, à un niveau de démocratie parlementaire suffisant», a regretté le député.
Las, ce matin, la conférence des présidents de groupe de l’Assemblée s’est prononcée contre un report du vote de 24 heures, lors d’une visioconférence décrite comme «agitée».
Retour à la normale
Fort de sa large majorité conquise lors des élections législatives de 2017 et de députés souvent novices, le gouvernement semble, depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, s’employer à abréger le circuit législatif au motif de réformes urgentes, au risque de laisser penser que l’exécutif considère l’Assemblée nationale comme une simple chambre d’enregistrement.
Dernier exemple illustrant cette approche: le gouvernement avait décidé, lors d’un Conseil des ministres extraordinaire le 29 février dernier, d’actionner l’article 49-3 de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites. Alors que l’ordre du jour annoncé pour ce Conseil était consacré à la pandémie, cette annonce-surprise avait suscité de nombreuses protestations.
Et pourtant. Indice que l’épisode pandémique ne changera sans doute rien à la conception macronienne du jeu des Institutions et de l’équilibre des pouvoirs, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, avait vu cette stratégie de vote express non pas comme un affaiblissement du Parlement, mais bien, selon Le Figaro, comme «une marque de considération».
Les députés devront donc s’en contenter. Dans un climat de défiance des Français attesté par un sondage IFOP, le sommet de l’État va-t-il encore décider de gouverner seul contre tous?