Tabler sur 2030 pour atteindre un taux d’électrification de 100%, c’est le défi qu’entend relever le ministre des Mines et de l’Énergie du Togo, Marc Ably-Bidamon. Voisin du Ghana et du Nigeria (dont il est séparé par le Bénin), ce petit État d’Afrique de l’Ouest comble son déficit électrique, estimé à près de 50%, en se fournissant auprès de sociétés installées dans ces deux pays.
Dans un entretien à Sputnik, cet ancien administrateur pour le Togo à la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) espère également pouvoir rendre plus compétitif le secteur minier du pays, qui produit notamment du phosphate et du manganèse. Le pays, affirme-t-il, est actuellement dans un changement de paradigme qui lui permettra d’atteindre ces différents objectifs, nonobstant la situation de crise engendrée par la pandémie de Covid-19.
Sputnik: Le gouvernement a décrété la gratuité des 40 kWh qui correspondent à ce qui est appelé «la tranche sociale» dans la facture d’électricité des Togolais. Une modeste réduction qui a fait que certains sont tentés de n’y voir qu’une mesure «politique»…
Marc Ably-Bidamon: «Pas du tout, il n’y a qu’à constater combien cela coûte à l’État togolais. Le montant de la tranche sociale d’un client bénéficiaire est de 4.760 francs CFA (7,20 euros) pour les 40 premiers kWh consommés dans le mois. Sur cette base, le montant total mensuel de la tranche sociale de l’ensemble des consommateurs bénéficiaire est estimé à 1,7 milliard de francs CFA (2,5 millions d’euros). Ainsi, pour les trois mois de gratuité de la tranche sociale, le montant global de la prise en charge est évalué à 5,5 milliards de francs CFA (8,3 millions d’euros). Cette gratuité s’inscrit dans une vision plus globale que traduisent d’autres mesures exceptionnelles prises par le gouvernement en faveur, notamment, des couches sociales défavorisées et vulnérables comme le Programme Novissi. Il s’agit d’un programme de transfert monétaire institué par le chef de l’État pour soutenir les citoyens qui ont perdu leurs revenus en raison de l’adoption des mesures de riposte contre le coronavirus. Là aussi, l’État togolais va débourser autour de 20 milliards. Donc ce n’est pas insignifiant du tout.»
Sputnik: Le Togo affiche pour ambition d’atteindre un taux d’électrification de 100% d’ici à 2030. La stratégie qui sous-tend cet objectif est-elle réaliste?
Marc Ably-Bidamon: «Les autorités togolaises ont réalisé que le développement socio-économique pour le bien-être de la population ne pouvait se faire sans l’accès de la population à une électricité fiable et abordable. Pour ce faire, le gouvernement a élaboré une stratégie d’électrification qui, dans sa mise en œuvre, prévoit trois phases. La première phase a démarré en 2018. L’objectif est de passer de 40% à 50% de taux d’accès.»
Sputnik: Estimez-vous être dans les temps?
Marc Ably-Bidamon: «Sans nul doute, d’ailleurs cette première phase s’est bien déroulée. Le taux d’électrification de 50% a été atteint à un an de l’échéance qui était 2020. On est entré dans la phase d’accélération qui s’étend jusqu’en 2025, avec pour objectif de porter le taux d’électrification de 50% à 75%. La troisième phase, dite phase de consolidation, s’étendra de 2026 à 2030 et permettra d’arriver au but: un taux d’électrification de 100%. C’est une option qui nous fait changer de paradigme en matière d’électrification, la stratégie a été bâtie sur ce choix.»
Marc Ably-Bidamon: «En ce qui concerne les hydrocarbures, le Togo n’étant pas un pays producteur de pétrole, toute la consommation nationale est importée. Ainsi, le pays s’approvisionne sur le marché international à travers le Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers (CSFPPP) qui procède par appel à manifestations d’intérêt pour retenir la meilleure offre. Pour l’électricité, le Togo s’approvisionne auprès de la Volta River Autority (VRA) au Ghana et auprès de Calabar Génération Company Limited (CGCL) au Nigeria.»
Sputnik: Est-ce que le Togo a des projets communs avec d’autres pays en termes de production d’énergie?
Marc Ably-Bidamon: «Pour le moment, aucun projet commun avec d’autres pays en matière de production d’électricité.»
C'est tout un honneur et une fierté pour moi de porter ma signature ce 7 nov. 2019, au nom du Gouvernement Togolais, aux deux accords entre Dangote Industries Limited et le Togo. S'inscrivant dans le cadre du PND, ce partenariat va drainer bcp d'emplois dans le secteur des Mines. pic.twitter.com/oqVRBn3utv
— Marc D. Ably-Bidamon (@AblyMarc) November 8, 2019
Sputnik: Vous êtes aussi chargé des mines. La Société générale des mines a reçu le permis d’exploitation du gisement de manganèse de Nayéga dès fin 2020 pour générer près de 16 millions de dollars et 250 emplois directs. Pensez-vous que la crise du coronavirus va retarder cette exploitation?
Marc Ably-Bidamon: «Le grand avantage du manganèse de Nayéga est que son exploitation se fera à ciel ouvert et, de ce fait, elle ne nécessite pas le déploiement d’un outillage complexe. Les équipements utilisés pour les tests d’extraction et de traitement du minerai sur site effectués entre octobre 2018 et mars 2019 ont montré que l’extraction est assez aisée. Ces systèmes sont toujours en place. Le processus d’acquisition et d’installation de nouveaux appareillages avait démarré avant même la pandémie de Covid-19.
Au regard des mesures fortes prises par le gouvernement en vue de protéger la population et lutter ainsi contre la propagation de cette épidémie, nous pensons que l’impact de la crise sanitaire sera très mineur sur le processus d’installation des unités de production et la période prévue pour le démarrage effectif de l’exploitation de ce gisement.»
Sputnik: L’État togolais ne détient que 10% de ce projet. Dans quelle mesure peut-on considérer que le Togo est gagnant dans cette initiative?
Marc Ably-Bidamon: «Effectivement, conformément aux dispositions de la loi, l’État prend une participation non payante de 10% du capital des sociétés d’exploitation minière. En dehors des dividendes qui seront versés annuellement à l’État au titre de sa participation gratuite au capital social, il faut noter que la loi fait obligation à toutes les sociétés minières de contribuer au développement local et régional des zones dans lesquelles elles opèrent dans notre pays à hauteur de 0,75% de leurs chiffres d’affaires.
Cette contribution financière versée par les entreprises minières ne les exempte pas de leur responsabilité sociétale et environnementale. Enfin, il faut aussi signaler que des centaines d’emplois directs et indirects seront générés par l’ouverture de cette mine au profit des jeunes, pour ne citer que cela.»