Il y a la «guerre» contre le coronavirus, décrétée par Emmanuel Macron, mais il y a aussi celle du matériel et des médicaments que se livrent, avec de plus en plus d’intensité, les États. Les pays les plus touchés par la pandémie se voient mis en concurrence, dans un contexte d’urgence et de pénurie. Le président LR de la région PACA a ainsi révélé le 31 mars à l’antenne de RT France qu’une cargaison de masques destinée Ehpad avait été raflée:
«Ce matin sur le tarmac [de l’aéroport, ndlr], en Chine, une commande française a été achetée par les Américains cash, et l’avion qui devait venir en France est parti directement aux États-Unis.»
Deux jours plus tard, ce 2 avril, Renaud Muselier, qui est également le président de l’Association des régions de France, est revenu sur cette affaire.
«L’avion qui devait venir en France est parti directement aux États-Unis», a-t-il déploré. Alors que les régions françaises ont pris l’initiative de pallier l’incapacité de Paris à assurer un approvisionnement suffisant en matériel médical chinois en passant leurs propres commandes, le coup est rude. «La commande, qui était payée et livrable, a été détournée parce qu’achetée», a-t-il encore expliqué. Et de préciser: «Trois fois le prix!» «Ce qui se passe avec les Américains est assez terrible, ils sont en capacité, sur le tarmac, de racheter des cargaisons entières en payant en cash», a également commenté le président de la région Grand Est, Jean Rottner, sur RMC. D’autant que les régions, en tant que collectivités territoriales, ne jouent pas à armes égales avec des acheteurs et des intermédiaires rôdant dans les zones aéroportuaires de fret chinoises, capables de payer en cash tout de suite. Ces collectivités territoriales françaises sont en effet astreintes à des règles comptables qui les obligent à payer leurs fournisseurs en trois tiers.
Les États-Unis avant tout le monde
Nouvelle illustration de la vulnérabilité des États et du secteur public dans un monde où tout peut se vendre au plus offrant? Pas seulement.
Les États eux-mêmes se livrent une guerre de plus en plus féroce pour s’approvisionner, avec les armes qui leur sont propres. Et si, comme dans le monde animal, les États-Unis sont au sommet de la chaîne alimentaire, plus bas, les autres pays se disputent aussi les cargaisons de masques en provenance de Chine, quelques centimes l’unité en temps normal, mais désormais précieux produit stratégique.
La République tchèque a ainsi été prise la main dans le sac. Le 17 mars dernier, les autorités tchèques avaient annoncé avoir saisi quelque 680.000 masques à destination de l’Italie, ainsi qu’un autre type d’équipement très recherché, des respirateurs. Prague avait d’abord justifié la saisie au motif que les équipements avaient été «volés à des entreprises tchèques par des criminels sans scrupules qui voulaient les vendre à des tarifs majorés sur le marché international».
Tchèques, Italiens et Français pris la main sur le masque
Mais c’était sans compter des images de la cargaison largement diffusées sur les réseaux sociaux. Les emballages comportaient la mention «Aide humanitaire chinoise pour l’Italie» et des drapeaux chinois et italien. Confondu, Prague avait dû, quelques jours plus tard, présenter ses excuses. Mais les masques prévus pour le nord de la péninsule transalpine, alors en pleine tourmente du Covid-19, avaient déjà été distribués dans les hôpitaux tchèques.
L’Italie elle-même a été soupçonnée de pratiques relevant de la piraterie. Avant de revenir sur ses propos et de les minimiser, Mohamed Sellini, ministre tunisien du Commerce, avait accusé le 23 mars dernier des «Italiens» d’avoir détourné un navire transportant de d’alcool à usage médical en route la Tunisie. Cependant, dans cette froide compétition, la France, bien que victime d’acheteurs américains, ne semble pas non plus au-dessus de tout reproche. Le 5 mars dernier, les autorités ont saisi une cargaison de masques de la société suédoise Mölnlycke qui transitait par la plateforme lyonnaise de cette entreprise. La marchandise était, là aussi, destinée à l’Italie, ainsi qu’à l’Espagne, touchée très durement et très tôt par le Covid-19. Mölnlycke a demandé de l’aide à son gouvernement, mais Stockholm a préféré faire profil bas.
Le coronavirus a-t-il fait voler en éclats toute idée de «communauté internationale»? Avec la pandémie, les relations internationales semblent retourner à l’état de la «guerre de tous contre tous», que décrivait Thomas Hobbes.