Coronavirus en Syrie: le début de la guerre pour l’approvisionnement en eau?

© AFP 2023 Delil SouleimanSyrian Arab and Kurdish civilians flee amid Turkish bombardment on Syria's northeastern town of Ras al-Ain in the Hasakeh province along the Turkish border on October 9, 2019.
Syrian Arab and Kurdish civilians flee amid Turkish bombardment on Syria's northeastern town of Ras al-Ain in the Hasakeh province along the Turkish border on October 9, 2019. - Sputnik Afrique
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Longtemps épargnée, la Syrie se retrouve désormais confrontée au Covid-19. D’autant que, sur fond d’une épidémie qui pourrait s’enflammer, compte tenu des conditions médicales précaires dans le pays, certains acteurs, dont la Turquie, tentent de faire une utilisation politique de ressources vitales, et en particulier l’eau.
«La revanche syrienne sur le monde sera une deuxième vague de coronavirus», titrait ce 26 mars la fameuse revue géopolitique Foreign Policy, en référence à la situation sanitaire dans les camps de réfugiés syriens.  

La Syrie, qui recense à ce jour cinq cas de Covid-19, inquiète de plus en plus. En proie à la guerre depuis maintenant neuf ans, les ressources sanitaires et institutionnelles pour faire face à l’épidémie de coronavirus sont quasiment inexistantes. De nombreuses régions, en particulier celles proches des lignes de front, pourraient être particulièrement vulnérables en cas de propagation à l’échelle nationale. 

Dans la limite –étroite– de ses moyens, Damas a depuis pris de nombreuses dispositions pour prévenir la propagation du Covid-19, comme la fermeture de ses frontières et l’arrêt du trafic aérien. Néanmoins, n’administrant pas la totalité du territoire, de nombreuses régions syriennes sont aujourd’hui en danger.

​Surtout que coronavirus ou pas, de nombreuses régions font encore l’objet de vives tensions. Certains acteurs du conflit tenteraient même d’utiliser l’épidémie pour en tirer un profit militaire et politique, notamment en utilisant de manière stratégique l’approvisionnement en eau de certaines régions.

«L’UNICEF sonne l’alarme sur les coupures d’eau en Syrie, alors que des efforts sont entrepris pour prévenir la propagation du Covid-19», pouvait-on lire sur le site de l’organisme le 23 mars.

​En effet, la Turquie et ses supplétifs syriens contrôlent toujours une grande partie du nord de la Syrie, notamment la station d’approvisionnement d’eau d’Alouk, qui fournit la ville de Hassaké, sous contrôle kurde. Cette ville a déjà un besoin en eau important en temps normal à cause du climat aride de la région, et ce besoin est décuplé par l’arrivée certaine du Covid-19. Pourtant depuis plusieurs jours, elle n’a pas reçu la moindre goutte d’eau en provenance d’Alouk.

Après le pétrole, la guerre pour l’eau ?

Comment expliquer cette coupure d’eau dans une des régions les plus fragiles du monde face à l’épidémie? Et est-ce une décision prise localement ou peut-elle être le fait d’une décision prise à Ankara? Contactée par Sputnik France, une source proche du dossier ayant souhaité conserver l’anonymat affirme que c’est forcément le fait d’Ankara:

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«Les actions des supplétifs de la Turquie répondent systématiquement aux enjeux de la Turquie. En outre, il ne peut s’agir d’un acte isolé qui n’ait été validé par Ankara: la relation avec “l’auto-administration” kurde du Nord-Est syrien est bien trop stratégique pour Ankara pour qu’elle ne soit pas à la manœuvre sur ce dossier, d’autant que celui-ci a déjà fait l’objet de pourparlers via la Russie, ce qui a permis de stopper la coupure ayant duré 11 jours, du 24 février au 5 mars.»

Près de 460.000 individus à Hassaké dépendent de cet approvisionnement en eau et notamment le camp de réfugiés d’Al-Hol, au sud-est de Hassaké. Pourquoi donc couper l’eau à ces populations particulièrement vulnérables? Selon cette même source, il est question de deux enjeux majeurs: d’une part, limiter voire couper l’approvisionnement en eau des Kurdes et d’autre part, s’assurer un approvisionnement en électricité sur les zones occupées par les Turcs. À quelles fins?

«Cela permettrait d’abord de réduire la présence kurde dans la région, mais aussi de contrôler et administrer un territoire pouvant accueillir les réfugiés syriens présents en Turquie, quand ils reviendront sur leur territoire», confie cette même source.

Une analyse des objectifs finaux que corrobore celle que confiait le géopoliticien Alexandre Del Valle au micro de Sputnik. Celui-ci affirmait que la Turquie essayait d’établir «une sorte de protectorat non-dit dans tout le nord de la Syrie frontalier avec la Turquie». En obtenant cette zone-tampon dans le nord de la Syrie, cela permettrait à Ankara.

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«De faire d’une pierre deux coups: il aurait renvoyé tous les réfugiés syriens chez eux et, en même temps, il aurait empêché les Kurdes de revenir au nord de la Syrie. C’est de la purification ethnique, il remplace les Kurdes par les Arabes», nous expliquait Alexandre Del Valle.

Dans le cadre de l’épidémie du coronavirus, cette situation inquiète tout particulièrement Fran Equiza, la représentante officielle de l’UNICEF en Syrie, qui explique que «l’eau et les stations d’approvisionnement d’eau ne peuvent pas faire l’objet d’une utilisation militaire et politique». Mais de quels moyens de pression dispose-t-elle?

 

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