Covid-19: «Les gens ne sont pas formés», témoigne une infirmière en réanimation

© REUTERS / Stephane MaheCoronavirus en France
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Équipements et mesures d’hygiène lourdes, patients en réanimation sous sédation durant plusieurs semaines… Alors que l’épidémie de coronavirus et les polémiques autour des pénuries s’intensifient en France, une jeune infirmière témoigne pour Sputnik de son quotidien et de ses rapports aux patients au sein d’un service de réanimation.

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Alors que la vague «continue de monter» en région parisienne, avec des hospitalisations multipliées par quatre en quatre jours, le seuil de 1.600 malades hospitalisés a été franchi le 24 mars dans les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le même jour, son directeur, Martin Hirsch, annonçait que depuis le début de l’épidémie 628 soignants avaient été contaminés, dont quatre sont en réanimation. Le directeur de l’AP-HP soutient qu’«une proportion importante a été infectée en dehors de l’hôpital». Des chiffres-chocs qui tombent alors que depuis le 21 mars, le personnel hospitalier enregistre ses premiers morts face à l’épidémie.

Comme dans les pays durement touchés par la pandémie, le personnel soignant, en première ligne, devrait en France payer un lourd tribut à la lutte contre l’épidémie. Début mars, sur 78.000 cas de coronavirus alors recensés en Chine continentale 3.300 étaient des membres du personnel soignant, médecins, infirmières, ambulanciers et brancardiers.

«Il n’y a qu’une seule maladie qui les a tous mis dans cet état-là»

Même son de cloche dans le nord de l’Italie, où jusqu’à 10% des soignants eux-mêmes ont contracté la maladie, contribuant à mettre à genoux un système de santé pourtant réputé à travers l’Europe. Ce phénomène, observé depuis plusieurs semaines de l’autre côté des Alpes, et depuis plusieurs mois de l’autre côté du continent eurasiatique, commence donc à être observé en France, alors même que la polémique sur le manque de matériel de protection continue de battre son plein.

Sputnik France a recueilli le témoignage de Julie*, étudiante infirmière en 3e année. Elle vient tout juste de terminer un stage en réanimation dans un hôpital des Yvelines (78), dans un service «entièrement dédié aux patients du coronavirus», après que ceux n’étant pas atteints du Covid-19 aient été transférés ailleurs. Julie revient sur son quotidien face à une épidémie qui, en moins d’un mois, a déjà tué plus de 1.100 personnes dans les seuls hôpitaux français.

«C’est différent de devoir traiter des patients qui présentent tous la même pathologie, qui sont tous là pour la même chose. C’est finalement de se dire qu’il n’y a qu’une seule maladie qui les a tous mis dans cet état-là», relate-t-elle.

Bien que son service, dans un établissement hospitalier de troisième ligne, n’affiche pas encore complet, tous ses patients présentent la forme grave de la maladie (15% des cas recensés), et sont «pour la majorité, intubés et sous assistance respiratoire permanente». Une situation qui impose une rigueur, stricte et chronophage, avec au-delà de tenues jetables le port d’une surblouse, d’un tablier étanche, d’un masque FFP2, de lunettes de protection, d’une charlotte pour cheveux, ainsi que d’une double paire de gants pour chaque chambre accueillant des patients Covid+ (positifs au Covid-19).

«On doit tout prévoir […], car à chaque ouverture de la porte de la chambre on peut contaminer les autres», insiste Julie.

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Elle regrette par ailleurs le manque de formation des personnes intégrant dans l’urgence les services de réanimation. «La réanimation, c’est intéressant pour les gens d’être formés avant d’y aller, dans le sens où c’est un service très spécifique, mais on n’a pas le temps», déplore-t-elle.

En effet, si la fermeture partielle des services de chirurgie permet de rediriger le personnel médical vers les services dédiés aux personnes atteintes du coronavirus, les moyens humains manquent afin de faire pleinement face à l’afflux de patients dans les établissements publics.

«Quand on a une infirmière pour 20 patients, c’est compliqué de pouvoir les traiter correctement. Mais alors là, pour la crise du coronavirus, il faut s’équiper intégralement dans chaque chambre et s’équiper de tenue à chaque fois. Je pense que si l’on avait remis un peu de personnel dans les hôpitaux, aujourd’hui ils demanderaient moins de vacataires, ils chercheraient moins de personnel et ça serait moins compliqué… parce que là, les gens ne sont pas formés!», assène Julie.

L’infirmière met ainsi en lien le manque de moyens humains de l’hôpital pour faire face à l’épidémie et le mouvement de grève qui, durant les mois qui ont précédé la crise sanitaire actuelle, a mobilisé le monde hospitalier, touché depuis des années par des coupes budgétaires. Pour l’heure, faute de traitement adéquat, un patient Covid+ est hospitalisé plus de deux semaines. Une moyenne qui monte à trois semaines pour les patients nécessitant une assistance respiratoire.

«Qui dit mise sous respirateur, dit qu’on les sédate, parce qu’on ne peut pas laisser quelqu’un réveillé avec un tube dans la bouche, ça ne serait pas humain à vivre. […] et après, on traite la maladie comme on peut.»

«Tant qu’il n’y a pas de symptômes graves […], on ne teste pas»

Ce qui, au-delà d’une longue immobilisation de matériel vital pour un seul patient, est loin d’être une expérience agréable pour les malades, à qui l’on ne prodigue finalement qu’une aide à se maintenir en vie, dans l’attente que leur corps se débarrasse (ou pas) de lui-même de l’infection. Comme le décrit l’infirmière, le retour à une respiration normale des patients se fait progressivement avec, au-delà de la capacité du patient à respirer de lui-même, des «examens biologiques» étape par étape afin d’évaluer l’oxygénation des organes. Un processus long, qui a mécaniquement une répercussion sur les admissions.

«Tant qu’il n’y a pas de symptômes graves, de signes de détresse respiratoire pouvant entraîner la nécessité d’une suppléance au niveau de l’oxygène, on ne teste pas ces gens-là parce qu’ils sont beaucoup trop nombreux et les tests beaucoup trop longs à faire pour tout le monde», nous explique Julie.

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Si son établissement ne subit pour l’heure pas de pénurie particulière de matériel médical, tel que les fameux masques, il en va autrement à l’échelle nationale concernant des produits tels que le réactif ou encore les écouvillons utilisés pour pratiquer les tests de dépistage. Des pénuries qui depuis plusieurs semaines provoquent des polémiques, notamment suite aux tests qu’on put réaliser plusieurs personnalités politiques disant avoir des symptômes bénins.

Une pénurie qui pose surtout la question du dépistage au sein du personnel soignant lui-même. Un point sur lequel Julie, gênée, n’a pas souhaité nous répondre, laissant ainsi à penser que les règles imposées aux patients n’étaient pas différentes pour le personnel. On remarquera d’ailleurs que si la secrétaire d’État Emmanuelle Wargon a pu être testée, c’est à l’occasion du dépistage effectué sur son mari, médecin urgentiste, présentant les symptômes du Covid+.

«à un moment donné, on ne sera plus assez»

Des tests de dépistage d’autant plus indispensables que les soignants sont appelés à être en contact avec de nombreuses personnes présentant des risques face au coronavirus. C’est aussi le cas dans les Ehpad où, si l’on confine les résidents et que l’on interdit la visite de leurs proches, des soignants interviennent, encourant le risque de faire entrer la maladie dans l’établissement.

«Ce qu’il faut, c’est surtout donner des protections aux soignants pour qu’ils puissent éviter de transmettre la maladie. J’ai des échos d’amies qui travaillent en Ehpad et qui n’ont pas de masque de protection, donc la suite c’est qu’elles se disent que si finalement leurs résidents attrapent le coronavirus, ce sera de leur faute, parce qu’elles sont les seules à être en contact avec eux.»

Un monde médical sur le pied de guerre, qui malgré toute sa bonne volonté ne pourra faire face à la maladie si celle-ci était amenée à prendre des proportions critiques, d’où l’importance de respecter les consignes gouvernementales de confinement et autres couvre-feux locaux. «On veut soigner un maximum de gens, mais à un moment donné, on ne sera plus assez», insiste-Julie, qui si elle ne reste pas insensible aux encouragements et hommages quotidiens de la population aux soignants, s’interroge quant aux comportements de certains.

«Cela fait toujours plaisir de voir qu’on reconnaît que les soignants en ce moment se mettent en première ligne et prennent des risques pour essayer de sauver le maximum de personnes de cette maladie. Après, comme tout le monde, on a tous la même arrière-pensée et le même énervement, qui disent que c’est bien de nous applaudir à 20h, mais s’il vous plaît ne sortez pas la journée!»

*Les prénoms ont été changés.

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