«Fermer les marchés financiers, c’est les mettre en état de confinement, parce qu’ils ne remplissent pas leur rôle, ils ne sont plus des marchés où les entreprises vont trouver de l’argent pour financer des activités saines, à long terme, ils sont des instruments de pari et de jeu, c’est devenu une sorte de tripot mondial», commente au micro de Sputnik France Jacques Cheminade, fondateur et président du parti politique Solidarité et progrès.
Depuis le début de la semaine, des voix s’élèvent pour cloisonner ce secteur économique afin d’empêcher qu’il ne contribue à couler l’économie tout entière. À temps exceptionnels, décision exceptionnelle, qui n’a «rien d’une lubie anticapitaliste», interpellent nos confrères de l’hebdomadaire Marianne. Ces derniers estiment ainsi qu’il faut «arrêter le massacre», soulignant les pertes déjà colossales ou encore les milliards d’argent public que le gouvernement français s’apprête à mettre sur la table pour nationaliser les compagnies en grande difficulté, telle qu’Air France, dont la valeur boursière a été divisée par deux depuis le début de la crise sanitaire. Ne pas avoir fermé les bourses européennes, une «erreur fondamentale» des gouvernements, estime Marc Fiorentino, fondateur de la société MeilleurPlacement auprès de Libération.
En effet, les efforts financiers consentis par les gouvernements afin de soutenir l’économie réelle, durement impactée par les changements radicaux des consommateurs ainsi que par les mesures prises pour lutter contre la propagation du virus, pourraient rapidement partir en fumée au gré des aléas des places boursières, où les records de pertes se succèdent depuis que le coronavirus SARS-Cov-V2 a quitté son berceau chinois. Ainsi, depuis le 19 février, l’indice CAC40 a-t-il perdu plus de 39 % de sa valeur, contre 33 % de chute enregistrée du côté de la bourse de Londres. Même son de cloche outre-Atlantique, avec un effondrement de près de 36 % du Dow Jones en l’espace de seulement un mois. On semble bien loin d’un simple rééquilibrage des marchés après des années d’euphorie.
«On a vu les montagnes russes: les baisses, les hausses et des paris constants d’intérêts spéculatifs sur cela, qui sont tout à fait au dehors de la nécessité d’une vision à moyen et long terme –et surtout à long terme– pour l’économie», insiste Jacques Cheminade.
Dans ce chaos économique et financier, les institutions monétaires ont été appelées à la rescousse. Ces derniers jours, la Réserve fédérale (FED) américaine multiplie les annonces de programmes d’urgence, telle que l’abaissement de son taux directeur à 0 %, l’achat de 500 milliards de dollars de bons du Trésor, 200 milliards de dollars de titres hypothécaires ou encore le déblocage d’une enveloppe de 450 milliards de dollars à destination de neuf autres pays. Jamais depuis décembre 2008, la FED n’avait injecté autant de liquidité pour «soutenir» les marchés.
«Il y a ce virus de la pandémie et il y a le virus algorithmique»
Côté européen, le gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a annoncé le 18 mars un plan de sauvetage colossal, prévoyant le rachat de 750 milliards d’euros d’actifs afin de calmer les marchés. Pour l’heure, seuls deux pays ont franchi le pas, les Philippines et le Sri Lanka, en fermant temporairement leurs bourses, relèvent ainsi Marianne, pour qui un responsable d’une société suisse de conseil aux investisseurs (ECGS/Proxinvest) leur rappelle que durant la Première Guerre mondiale, Wall Street avait fermé ses portes. En France aussi, la planche à billets tourne à plein pour amortir le choc économique de la pandémie.
«32 milliards de reports de charges fiscales et sociales pour les entreprises, 8,5 milliards pour les mesures de chômage partiel, 2 milliards aux TPE, plus la garantie de la BPI des crédits accordés par les banques aux PME et aux ETI,» énumère Jacques Cheminade.
Si ce dernier salue les mesures prises par le gouvernement afin de venir en aide au tissu économique français, celles-ci ne représenteraient que «mesures de sauvegarde […] qui ne vont pas au fondement du système» et à ses yeux, mettre à l’arrêt les bourses le temps de la crise constituerait un «signal fort» afin de «montrer qu’on est vraiment pour une politique de santé publique, de développement économique et de bien commun».
À ses yeux, c’est la France qui est la plus à même de mobiliser les principaux chefs d’État du globe, Xi-Jiping, Donald Trump, Vladimir Poutine, Narendra Modi en dehors du G7, instance qu’il qualifie de «reste de la Guerre froide, comme l’Otan», voire de montrer la marche à suivre en en fermant sa propre place boursière.
«En France nous avons un système présidentiel, on a un système centralisé, et c’est pour cela qu’on peut plus faire qu’ailleurs», justifie-t-il.
Autre point important à ses yeux pour sortir de cette crise que de mettre en pause un système qu’il juge «réduit en miettes» et qui «ne peut plus fonctionner», la remise à l’ordre du jour de la séparation des activités de banque d’affaires et de banque de dépôts et de crédits. Un Glass-Steagall Act du XXIe siècle, en somme. Après tout, le sauvetage à grand renfort d’argent public d’acteurs particulièrement spéculatifs n’est-il pas généralement en partie justifié au nom de la préservation de l’épargne de leurs clients?
«Si les banques qui spéculent sur les marchés financiers tombent en faillite, il ne faut pas faire comme en 2008, il faut les abandonner, elles ont joué, elles ont perdu! Et, avec la fermeture des marchés financiers, elles auront bien entendu perdu», lance-t-il.
Le Glass-Steagall Act a mis en place la séparation des métiers bancaires aux États-Unis en 1933 au sortir de la grande dépression, afin de prévenir qu’une telle crise financière ne se reproduise. Cependant, cette digue vola en éclats lorsque Bill Clinton promulgua en 1999 le Gramm–Leach–Bliley Act, afin de permettre la fusion entre la deuxième banque du pays, Citicorp, et le premier assureur, Travelers Group, donnant naissance à l’une des plus grandes sociétés de services financiers au monde: Citigroup. Une entreprise financière qui, par la suite, apportera son soutien financier au couple Clinton.
Un point d’histoire sur lequel Jacques Cheminade prend néanmoins la défense l’ancien président américain, rappelant que celui-ci –juste avant que l’affaire Monica Lewinsky ne gâche son mandat– avait plaidé pour une refonte de système financier et monétaire international.
«On a fait pression sur lui. Les intérêts qui l’avaient porté au pouvoir à ce moment-là lui ont dit de se comporter en gentil garçon et de faire ce qu’ils voulaient. J’ai bien peur que ce soit la même chose avec Emmanuel Macron en France, qui a été porté par le même type d’intérêts.»