Une enquête du Washington Post, basée sur des documents secrets de la CIA, révèle que l’agence de renseignement extérieure des États-Unis s’est associée à son homologue allemande, le BND pendant plus de 40 ans, pour espionner plus d’une centaine de pays.
Comment ont-ils opéré? La CIA et le BND ont exploité des failles intégrées directement au système de chiffrement d’une société suisse –Crypto AG– que les deux agences de renseignement pilotaient en sous-main depuis les années 1960 et ont achetée en 1970. Plus de 120 gouvernements étaient clients de cette société pour protéger leurs communications, lesquelles pouvaient donc être lues par les agences de renseignements extérieurs américaine et allemande. Crypto AG a poursuivi ses activités jusque dans les années 2010 sous le seul pilotage de la CIA, après la défection du BND dans les années 1990.
Yannick Harrel, expert en cyberstratégie, dresse le contexte:
«Ces services de renseignement étaient déficitaires sur un plan informationnel. Les Américains auraient pu créer leurs propres machines cryptographiques, mais ils n’auraient pas pu les diffuser de l’autre côté du rideau de fer. Et le BND s’y est associé parce qu’il n’avait pas tous les éléments pour avoir des informations sur ce que l’intéressait le plus, c’est-à-dire les relations avec l’Allemagne de l’Est et l’Europe sous bannière socialiste.»
Harrel revient sur les événements historiques clés qui ont été espionnés par le partenariat de renseignement américano-allemand et explique le choix d’une société suisse pour mener cette l’opération «Thesaurus», rebaptisée «Rubicon» dans les années 1980.
«Dans ce cadre de Guerre froide, la société suisse Crypto AG présentait des garanties, d’une part techniques, mais aussi de non-appartenance aux deux blocs, donc non-susceptibles théoriquement.»
Harrel explique pourquoi la Chine et l’Union soviétique ont échappé à ce piège:
«Je pense que ces deux pays étaient dans une logique de souveraineté technologique et disposaient quand même d’académies de cryptographie très évoluées. On connaît la qualité des mathématiciens et scientifiques soviétiques... donc, ces pays avaient déjà les capacités et les connaissances techniques pour ne pas dépendre d’un produit tiers.»