Y a-t-il un partage des rôles à la tête de l’exécutif, façon «good cop» - «bad cop» à l’instar des séries américaines, entre un gentil policier, Emmanuel Macron, et un autre, beaucoup moins commode, Christophe Castaner?
Si tel est le cas, cela ne contribue guère à faire passer le message auprès de la population. En témoignent les nombreuses clarifications que le gouvernement a dû faire au sujet des nouvelles mesures de confinement sur tout le territoire français. Ce 17 mars, à l’issue d’un Conseil des ministres extraordinaire, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a ainsi demandé un peu d’indulgence, expliquant que les autorités apporteraient des «ajustements» au fur et mesure.
«Je comprends que les Français parfois se demandent comment les choses doivent se dérouler exactement et qu’ils puissent avoir le sentiment qu’il y a de l’imprécision ou du flou», a-t-elle plaidé.
De fait, l’exécutif n’échappe pas aux critiques. Le «en même temps», peut-être destiné à ménager les Français –des «Gaulois réfractaires» pour Emmanuel Macron–, pourrait embrouiller la population. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner s’est empressé, le soir même de l’allocution, de préciser un dispositif que le Président de la République avait à peine esquissé. «Le mot d’ordre est clair: Restez chez vous», avait dû résumer le premier flic de France, sur un ton beaucoup moins amène que le chef de l’État.
Un dispositif de confinement qui laisse la place à l’interprétation
Quant aux nouvelles règles elles-mêmes et leur détail, leur transmission a souffert du même flottement. L’allocution d’Emmanuel Macron a laissé les spectateurs perplexes. À aucun moment le mot de «confinement» n’a été prononcé. C’est la presse, les commentateurs et des membres du gouvernement qui ont eu la charge de nommer la chose. Une journaliste de BFMTV, Apolline de Malherbe, avouait ainsi quelques instants après le discours d’Emmanuel Macron ne pas comprendre les nouvelles restrictions de mobilité. Pouvait-on faire du jogging? Sortir le chien? «Oui», a enfin répondu ce 17 mars Christophe Castaner, qui a dû s’y reprendre à deux fois pour préciser la pensée du Président de la République
«Toutes les personnes qui circuleront devront être en mesure de justifier leur déplacement. Chaque personne devra porter une attestation pour justifier sur l’honneur le motif de son déplacement», a détaillé le ministre.
Pourtant, le flou demeure, par exemple sur les «déplacements courts», qui seraient tolérés. Mais avec ou sans attestation sur l’honneur? Et le locataire de la place Beauvau d’ajouter que «la violation de ces règles sera punie d’une amende», dont le montant a été fixé à 38 euros dans un premier temps et sera porté prochainement à 135 euros par un décret.
En outre, 100.000 policiers ont été déployés en France pour veiller au respect de ces règles inédites en temps de paix pour les Français. De fait, après la pédagogie, c’est la «coercition», selon le terme employé par Christophe Castaner, qui se profile. Car si D'autant que si le rôle du «bad cop» sied bien au ministre de l'Intérieur, le préfet de police Didier Lallement arrive un cran au-dessus. Le haut-gradé se fait même menaçant. Constatant que les consignes n’étaient pas assez vite comprises, le préfet a ainsi prévenu:
«Vous me connaissez, je vais les faire comprendre assez vite si jamais les explications parfaitement claires du gouvernement n’étaient pas arrivées aux oreilles de tous.»
"Vous me connaissez, je vais faire comprendre assez vite les consignes", promet le préfet de police de Paris Didier Lallement qui en profite au passage pour vanter sa récente politique de maintien de l'ordre. #CoronavirusFrance pic.twitter.com/EihY5BeyVx
— David Perrotin (@davidperrotin) March 17, 2020
Le Conseil scientifique préconisait un confinement plus strict
«Eux souhaitaient un confinement strict. Or, nous ne sommes pas aujourd'hui dans le cadre d'un confinement strict. J'espère que les règles aujourd'hui seront suffisantes pour juguler l'épidémie», s’est inquiétée Marine Le Pen.
Fallait-il des mesures à la fois plus strictes et plus lisibles? Avec une occasion unique de regagner la confiance des Français, Emmanuel Macron et le gouvernement jouent serré. Après une séquence maladroite où le Président ainsi que son épouse avaient critiqué les Français pour leur insouciance, quelques jours seulement après avoir tweeté le 11 mars dernier que la France ne renoncerait à rien, «surtout pas à rire [...] surtout pas aux terrasses».
Nous ne renoncerons à rien.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 11, 2020
Surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer.
Surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été.
Surtout pas à la liberté.
Surtout pas à notre esprit de résistance qui fait la République si grande, la France si forte. pic.twitter.com/SoBnuWqcof
À la lecture de ce tweet et d’autres déclarations anciennes de ministres minimisant l’épidémie, parmi lesquels l’ex-ministre de la Santé et candidate à la mairie de Paris Agnès Buzyn, l’exécutif semblerait n’avoir rien vu venir. Et pourtant. Dans les colonnes du Monde de ce 17 mars, c’est une Agnès Buzyn, encore une fois très affectée, qui s’est ouverte de ses états d’âme avec une franchise étonnante:
«Quand j’ai quitté le ministère, assure-t-elle, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous.»
Les Français auront-ils le même droit à l’erreur que leurs gouvernants?