Le Parquet de Paris s’est saisi du dossier. Une enquête a été ouverte pour «provocation à la commission d’un crime», enquête menée par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Les rappeurs Sneazzy et Nekfeu ont en effet visé le journaliste de CNews et RTL Pascal Praud dans leur morceau Zéro Détail:
«Les journalistes salissent l’islam, sont amateurs comme Pascal Praud. Ça mérite une balle dans le cervelet. Le canon au fond de la bouche. J’suis musulman et fier de l’être. On va jamais m’traîner dans la boue.»
Pascal Praud n’a pas encore envisagé de se porter partie civile, et la société des journalistes de RTL a quant à elle dénoncé des «paroles infectes».
Les rappeurs de mauvaise foi?
Un appel au meurtre? Sputnik en a discuté avec Me Grégoire Belmont, spécialisé en droits pénal et de la presse. «Ça me semble clair, il n’y a pas besoin de faire une exégèse très compliquée pour comprendre qu’il y a une provocation directe à la violence, voire au meurtre à l’égard de Pascal Praud, ou plus largement des journalistes», nous a-t-il répondu avant d’ajouter: «je pense qu’il faut être d’une mauvaise foi absolue pour le nier».
Car en effet, Sneazzy a déjà plaidé «la métaphore» et s’est dit «stupéfait» de voir ses paroles «sorties de leur contexte». Un argument peu crédible selon Me Belmont:
«Juridiquement, c’est pénalisé de manière très claire par l’art. 24 de la loi sur la presse qui punit les provocations directes à commettre des atteintes volontaires à la vie, comme le meurtre ou les violences».
Un caractère direct particulièrement avéré en l’espèce pour l’avocat: «je vois mal comment les auteurs pourraient s’en disculper», nous dit-il.
Selon les textes, l’auditeur ou le lecteur doit être «placé dans un état d’esprit qui porte à l’infraction». Pour autant, la loi ne prévoit pas que la provocation soit réalisée. «Évidemment, le fait que personne n’aille tuer Pascal Praud au petit matin ne rentre pas du tout en ligne de compte dans l’incrimination», précise Grégoire Belmont. Autre problème, le caractère artistique des paroles:
«Il y a toujours une certaine indulgence liée à l’art, mais l’art n’excuse pas tout, estime Maître Belmont. Là, c’est manifeste.»
Jusqu’à cinq ans de prison et 45.000€ d’amende
Sneazzy, qui a affirmé être l’auteur unique des paroles, risquerait donc une condamnation pour incitation à commettre des violences. Un délit «plus grave que de la diffamation ou de l’incitation à la haine» puni en principe de «cinq ans de prison et 45.000€ d’amende».
«Je ne vois pas comment une application raisonnable de la loi pourrait conduire à une relaxe», estime l’avocat.
Celui-ci relève toutefois «la plus grande clémence des tribunaux» s’agissant des chansons: «la peine sera légère ou symbolique, plutôt de nature pécuniaire, en fonction du casier». Selon notre interlocuteur, les condamnations de rappeurs restent peu nombreuses. A contrario selon lui, «les condamnations concernent plutôt ceux qui critiquent l’islam ou les minorités par incitation à la haine». Un cas toutefois très différent des provocations à la commission d’un crime. «Il n’y a de dimension raciale ici,» tient-il à préciser.
Le précédent Nick Conrad
En mars 2019, le rappeur Nick Conrad, qui avait chanté «je rentre dans les crèches, je tue des bébés blancs, attrapez-les vite et pendez leurs parents» dans son clip Pendez les blancs, avait été condamné pour provocation au crime à 5.000 euros d’amende avec sursis par le tribunal correctionnel, et à verser 1.000 euros de dommages et intérêts aux associations qui s’étaient portées parties civiles pour dénoncer ses propos: l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (Agrif) et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). Conrad n’a toutefois pas été poursuivi en novembre dernier pour son clip Doux pays dans lequel il déclarait «J’ai baisé la France jusqu’à l’agonie».
D’autres rappeurs ont échappé à une condamnation, comme Youssoupha. En juin 2012, Éric Zemmour avait perdu son procès en appel contre ce dernier, mais cette fois pour injure et diffamation. Le rappeur avait en effet chanté: «Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d'Éric Zemmour.» Selon la cour d’appel de Paris, les propos poursuivis «n'excédaient pas les limites admissibles en matière de liberté d'expression artistique».