L’Algérie dort sur un immense trésor: son patrimoine touristique

© AFP 2024 HOCINE ZAOURARLes ruines de l’amphithéâtre romain du site archéologique de Tipaza, en Algérie.
Les ruines de l’amphithéâtre romain du site archéologique de Tipaza, en Algérie. - Sputnik Afrique
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En basant son économie exclusivement sur la rente des hydrocarbures, l’Algérie a totalement délaissé le tourisme. La baisse des prix du pétrole peut être une chance de développer ce potentiel et d’ouvrir le pays sur le monde. À condition, bien sûr, que le gouvernement fasse preuve de volonté politique.

Le ministre algérien du Tourisme et de l’artisanat a annoncé, mercredi 26 février, l'instauration du Conseil national du tourisme. Cette institution a pour mission de coordonner les actions de tous les départements qui agissent dans ce secteur. Mais cette déclaration démontre à elle seule tout le retard qu’accuse l’Algérie dans le développement du tourisme puisque ce Conseil avait initialement été créé en 2002 et ne s’est jamais réuni…

«C’est une réanimation et non pas une création», précise à Sputnik Saïd Boukhlifa, expert international en tourisme qui possède 44 années d’expérience dans ce domaine. 

«En réalité, nous cumulons les retards puisque le renouveau du secteur devait débuter réellement en 2008 avec les Assises nationales du tourisme. C’est à cette occasion que le schéma directeur du tourisme à l’horizon 3030 avait été adopté. Mais cette relance n’a pas eu lieu», explique ce professionnel.

L’explication est simple, selon lui : «Il ne peut y avoir de refondation sans une réelle volonté politique. Cette volonté politique est basée sur la conviction des gouvernants. Lorsque cette question sera tranchée, il faudra régler une longue liste de problématiques comme la compétence dans l’administration et les structures publiques en charge du secteur du tourisme, la formation des professionnels et les questions liées aux infrastructures touristiques.»

L’inaccessible visa

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Saïd Boukhlifa se montre particulièrement critique envers les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis une trentaine d’années. Pour lui, les années 1970 restent l’âge d’or du tourisme algérien. Il se rappelle que le Président Boumediene (son mandat a couru de 1976 à 1978, ndlr) était pourtant contre le développement du tourisme. «Il a fini par accepter car les membres du Conseil de la révolution (organe politique mis en place au lendemain du coup d’État du 19 juin 1965) étaient parvenus à le convaincre de ses effets positifs sur l’économie et la société», se souvient Saïd Boukhlifa. À l’époque, le pays était tenu d’une main de fer par le colonel Boumediene mais il restait ouvert aux étrangers.

Ce qui est loin d’être le cas actuellement, le visa algérien étant un des plus difficiles à obtenir. «La procédure est tellement longue et compliquée qu’elle est faite pour dissuader les potentiels visiteurs et les encourager à aller dans d’autres pays», ironise l’expert. Interrogé par Sputnik, Brahim Aflah Hadj-Nacer, directeur de l’agence de voyage Zyriab, place quant à lui la délivrance des visas en tête de liste des problèmes qui bloquent le développement du tourisme.

«Les autorités doivent se mettre au diapason en matière de technologie en instituant l’e-visa. C’est la première action à mettre en œuvre si nous souhaitons attirer en nombre les visiteurs étrangers. Il y a ensuite la question de la sécurité des touristes, notamment dans le sud du pays, qui peut être réglée par la création d’une police touristique comme il en existe dans de nombreux pays. Elle pourra œuvrer de façon efficace et discrète et assurer la protection du patrimoine et de l’environnement», souligne Hadj-Nacer dans une déclaration à Sputnik.

Le pays a en effet la capacité de développer plusieurs types de tourisme: balnéaire, saharien, culturel, cultuel et même thermal. «C’est avant tout la volonté politique qui bloque le tourisme en Algérie. Si les pouvoirs publics arrivaient à comprendre l’intérêt du développement touristique sur le plan de la rentabilité économique et de la création d’emplois, les choses changeraient très rapidement», poursuit le directeur de l’agence de voyage.

«Plus important patrimoine romain après l’Italie»

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Ancien responsable de l’Office national algérien de tourisme (ONAT), le tour-opérateur public du pays, Brahim Aflah Hadj-Nacer connaît parfaitement le potentiel que recèle l’Algérie. Il met en avant sa position géographique et la diversité de ses paysages. Pour le tourisme saharien, il estime qu’il n’est nullement besoin de construire de grands palaces mais qu’il suffit seulement de créer des établissements qui puissent accueillir les visiteurs au dernier jour de leur trekking. «Il faut permettre aux visiteurs de prendre une douche, de se reposer et de se restaurer convenablement avant le départ», considère-t-il.

Hadj-Nacer affirme qu’il est également important de ne pas se focaliser sur la traditionnelle clientèle française et d’aller vers de nouveaux marchés comme les pays du nord de l’Europe, la Russie, l’Allemagne et l’Autriche. Pour cela, l’Algérie dispose d’un atout majeur: son histoire.

«Nous avons un potentiel historique très important, notamment en matière de ruines romaines puisque l’Algérie, après l’Italie, possède le patrimoine romain le plus important au monde», explique-t-il.

Faïza Riache, archéologue et présidente de l’Association nationale Tourath Djazaïrouna (Patrimoine de notre Algérie, ndlr), confirme que les sites romains de Cuicul, Lambèse, Tipaza et Timgad peuvent accueillir des milliers de touristes quotidiennement. Et ce n’est là qu’un des multiples aspects du potentiel touristique culturel du pays.

«En Algérie, nos sites archéologiques remontent à la préhistoire et vont jusqu’à la période coloniale. À la fin des années 1950, les archéologues français avaient recensé près de 1.000 sites et actuellement, nous en avons dénombré 422 rien que pour la région de Tiaret», détaille-t-elle à Sputnik.

Selon elle, les possibilités de développement du tourisme algérien sont multiples. «Prenons le cas d’Aïn Boucherit, dans la région de Sétif (300 km à l’est d’Alger), qui figure dans la short-list des berceaux de l’humanité au même titre que Gona en Éthiopie. Il est possible d’en faire un pôle touristique important en créant un centre d’interprétation. Ce centre permettrait de présenter aux touristes les pièces découvertes lors des fouilles et d’expliquer les avancées réalisées par les scientifiques. C’est que fait actuellement le Maroc sur un site similaire situé à Jbel Ighoud. En plus du caractère culturel, une telle initiative peut participer à financer la recherche archéologique», affirme l’archéologue.

«Les excursionnistes du shopping»

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Selon les statistiques officielles, l’Algérie aurait reçu 2 millions de touristes en 2018. Mais Saïd Boukhelifa remet en cause ces données car, explique-t-il, le ministère du Tourisme comptabilise tous les étrangers qui entrent sur le territoire algérien. À ce titre, il refuse de prendre en compte les nombreux Tunisiens qui traversent tous les jours la frontière car il estime que ce sont des «excursionnistes du shopping» qui arrivent le matin et repartent le soir.

L’expert avance un chiffre bien plus modeste:

«Si nous faisons le cumul des 50 dernières années, je peux dire que nous n’avons pas encore dépassé les 500.000 touristes.»

Si elle veut profiter pleinement du trésor touristique, l’Algérie doit se mettre très rapidement au travail et prendre des décisions courageuses. «Nous sommes dans une situation de manque à gagner car chaque année, le pays perd des sommes d’argent très importantes. Une destination se construit progressivement. Dans le cas de l’Algérie, il faudra au moins dix ans. À condition de faire assainir le secteur et de lancer des programmes de communication et de promotion», insiste Saïd Boukhelifa.

À propos de communication, le ministère du Tourisme devrait déjà commencer par réactiver son site Internet qui est inaccessible…

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