Rencontre Poutine-Erdogan, Gérard Chaliand estime que «les Russes ne céderont pas»

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Suite à la perte de trente-trois soldats à Idlib le 27 février, Ankara a décidé d’ouvrir aux migrants sa frontière avec la Grèce. Alors que la situation en Syrie est toujours tendue, Erdogan rencontre Poutine à Moscou. Pour y voir plus clair dans ce Moyen-Orient compliqué, Sputnik a interrogé Gérard Chaliand, géostratège.

L’Europe ne «cèdera pas au chantage» aux migrants exercé par la Turquie, a assuré Jean-Yves Le Drian le 4 mars. Interrogé lors d’une séance de questions au gouvernement au Sénat, le ministre des Affaires étrangères a eu des mots forts contre Ankara:

«La pression migratoire qui est aujourd’hui aux portes de l’Europe –de la Grèce, un peu de la Bulgarie, un peu de Chypre– est organisée par le régime du Président Erdogan pour constituer un élément de chantage à l’égard de l’Union européenne.»

Face à la menace annoncée de «millions» de migrants, l’Union européenne tente de faire front commun. La résolution de la crise migratoire se trouverait-elle dans un soutien européen à la Turquie en Syrie? C’est en tout cas ce que le Président turc a affirmé le 4 mars: «Si les pays européens veulent régler le problème, alors ils doivent apporter leur soutien aux solutions politiques et humanitaires turques en Syrie».

Car le mois de février a été marqué par un lourd bilan pour l’armée turque dans la région d’Idlib, au nord-est de la Syrie, avec cinquante-quatre militaires tués dans des affrontements avec l’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe. Gérard Chaliand, géostratège, spécialiste de l’étude des conflits armés et des relations internationales et stratégiques, remet dans un entretien avec Sputnik ces affrontements dans le contexte syrien:

«La Russie, conjointement au régime de M. Bachar, a l’intention très nette de nettoyer cette région d’Idlib, une région essentiellement soutenue par la Turquie, avec à l’intérieur des éléments islamistes de diverses obédiences. Ils veulent nettoyer ça. Ça dérange évidemment la Turquie. Ça va leur faire plus des réfugiés […] Il y a des gens qui appartenaient à Al-Qaida*, qui ont changé de sigle mais finalement ce sont des «al-qaidaistes», il y a aussi d’autres mouvements islamistes qui portent d’autres sigles.»

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Au-delà de l’armée syrienne d’une part et des forces turques et «rebelles» de l’autre, qui s’affrontent au sol, le ciel syrien est pour l’instant tenu par la Russie, qui soutient Damas. Ainsi le chef d’Etat russe a exprimé sa préoccupation au sujet des «actions agressives auxquelles se livrent les groupes extrémistes».

Moscou, Ankara, le choc des pragmatismes

La Russie est donc au centre du jeu syrien, ce qui donne toute sa valeur à la rencontre entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, ce 5 mars à Moscou. Que faut-il en attendre?

​Avant la rencontre au sommet à Moscou, le Président turc a annoncé le 4 janvier, espérer la conclusion d’un «cessez-le-feu le plus rapidement possible dans la région» d’Idlib. De son côté, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a fait part de ses vœux de voir aboutir une «vision commune» entre les deux dirigeants. Gérard Chaliand se montre pourtant réservé sur les possibilités de rapprochement entre Ankara et Moscou:

«Il y a une tension russo-turque sur ce chapitre-là [Idlib, nldr], de la même façon qu’il y en a une plus grave en Libye, puisque Russes et Turcs ne soutiennent pas le même camp […] à mon avis, les Russes ne céderont pas.»

 

​Pourtant, les deux puissances ont réussi à s’entendre par le passé. En effet, avant les violents affrontements à Idlib, la Turquie et la Russie, ont signé les accords de Sotchi pour régler les différentes problématiques de la guerre en Syrie. Car si ces deux puissances ne poursuivent pas toujours des objectifs similaires, elles partagent un modèle de politique étrangère plutôt pragmatique et flexible.

«C’est ceux qui avaient une volonté qui, d’une façon générale, s’en sont sortis le mieux, à savoir d’une part, les Russes, et à sa façon, M. Erdogan, qui a navigué avec des cartes relativement limitées pour s’imposer.»

Une stratégie opposée à la politique européenne, basée sur des «valeurs» affichées et la volonté de remodeler la région. Rappelons que la France croyait encore il y a peu à un changement de régime en Syrie:

«L’Europe reste verbalement attachée à un certain nombre de valeurs, mais qu’est-ce qu’elle fait sur le terrain pour défendre celles-ci du point de vue de l’action, de la volonté d’agir?»

Fort de son expérience au FLN, puis au nord-Vietnam, Gérard Chaliand est devenu un spécialiste de l’étude des guerres irrégulières. Il analyse ainsi le bilan «médiocre» des États-Unis au Moyen-Orient depuis une vingtaine d’années.

«C’est un fiasco complet la politique américaine»

Comment les Américains ont-ils pu s’empêtrer dans les bourbiers irakien puis afghan? Il cite le rapport du général américain McChrystal, publié en 2009, qui appelait à un changement radical de stratégie en Afghanistan, dénonçant notamment le manque d’ouverture des bases américaines vers les populations locales.

«La véritable irrégularité dans la guerre irrégulière, ce n’est pas le fait qu’il y en ait un qui dispose d’un armement supérieur, c’est qu’il y en a un qui dispose idéologiquement d’une motivation beaucoup plus grande. Donc, c’est un fiasco complet la politique américaine.»

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Poursuivant à propos de la politique américaine, Gérard Chaliand ne se montre pas si critique vis-à-vis de la politique étrangère du locataire actuel de la Maison-Blanche. Washington a signé un accord de paix avec les talibans mettant en place le retrait graduel des soldats américains. Quelques mois auparavant, en octobre 2019, Donald Trump avait décidé le retrait des troupes américaines du nord de la Syrie. Peut-on qualifier alors le milliardaire américain d’isolationniste?

«Trump ne veut pas de guerres qu’on ne peut pas gagner. Il veut donner l’image d’un Président qui ramène les troupes à la maison, mais pas n’importe comment […] Il n’est pas isolationniste, simplement, il est absolument opposé à cette dispersion de forces dans des zones où il n’y a pas de victoire possible. Au contraire, il veut bien se rappeler que finalement que l’adversaire des États-Unis, c’est la Chine.»

Depuis quelques années, la production de gaz de schiste en Amérique du nord procure à Washington l’indépendance énergétique. Ce qui fait dire à Gérard Chaliand que le Moyen-Orient n’est plus si indispensable:

«Le Moyen-Orient a perdu l’importance qu’il avait il y a une quinzaine d’années, c’est indiscutable.»

*Organisation terroriste interdite en Russie

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