Algérie: le Hirak au temps du coronavirus

© AFP 2023 RYAD KRAMDIDes passants avec un masque de protection devant l'hôpital d'Alger, le 26 février 2020.
Des passants avec un masque de protection devant l'hôpital d'Alger, le 26 février 2020. - Sputnik Afrique
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L’Algérie a enregistré cette semaine son premier cas positif au virus Covid-19. Les autorités, qui assurent maîtriser la situation, iront-elles jusqu’à interdire les marches de protestation qui rassemblent chaque vendredi des milliers de personnes à travers les principales villes du pays?

Âgé d’une soixantaine d’années, le premier patient atteint du coronavirus est un Italien qui travaille dans la ville pétrolière de Hassi-Messaoud (800 km au sud d’Alger) pour le compte de la compagnie italienne ENI. Originaire de la province de Bertonico, en Lombardie, l’une des zones les plus touchées par le virus en Italie, l’homme est arrivé en Algérie 17 février dernier.

Vue de la ville d'Alger - Sputnik Afrique
Coronavirus: un premier cas confirmé en Algérie, il s'agit d'un citoyen italien
Le Dr Djamel Fourar, directeur de la prévention et de la lutte contre les maladies transmissibles au ministère de la Santé, a indiqué que le patient est actuellement en isolement au même titre que toutes les personnes avec qui il a été en contact. Mais les autorités ont reconnu n’avoir pu identifier qu’une dizaine de passagers qui ont pris le même vol que lui. Des dizaines de personnes potentiellement atteintes du Covid-19 n’ont donc pas été retrouvées. Pour recueillir des renseignements et informer la population, le ministère de la Santé a mis en place un numéro vert, le 3030.

«Nous avons prévu deux équipes de 12 médecins chacune qui travailleront de 8h à 18h et de 18h à 8h. Leur travail consistera à répondre, sur la ligne gratuite mise en place à l'occasion, aux questions des citoyens et à expliquer notamment les dispositions à prendre pour se prémunir contre ce virus», a précisé le Dr Fourar sur les ondes de la radio publique.

Théorie du complot

L’apparition du coronavirus et sa propagation de la Chine vers le reste du monde a été récupérée par les milieux complotistes. Chacun y va de sa théorie: le virus a échappé accidentellement à un laboratoire de l’armée chinoise; il a été créé et disséminé par les services de renseignement américains pour provoquer l’effondrement de l’économie chinoise; la cible finale est en fait l’Iran…

En Algérie, sur les réseaux sociaux, où le principal sujet de discussion est toujours le Hirak,  on s’interroge plutôt sur une éventuelle interdiction des marches pour empêcher la propagation du Covid-19.

Contacté par Sputnik, le Dr Djamel-Eddine Oulmane, médecin à la retraite, est la personne la mieux placée pour nous parler du coronavirus et du Hirak. Véritable homme-orchestre, Djamel-Eddine Oulmane est aujourd’hui musicien, graphiste et «hirakiste». Très engagé dans le Mouvement citoyen, il a récemment été condamné à trois mois de prison fermes par le tribunal de Sidi M’hamed pour «incitation à regroupement illégal non armé».

© Photo Dr Djamel-Eddine OulmaneLe Dr Djamel-Eddine Oulmane a été condamné à trois mois de prison fermes pour «incitation à regroupement illégal non armé».
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Le Dr Djamel-Eddine Oulmane a été condamné à trois mois de prison fermes pour «incitation à regroupement illégal non armé».

Impossible de le rater durant les marches du mardi et du vendredi avec son bandana sur le front et ses affiches. Ce médecin a pratiqué la prévention sanitaire durant une grande partie de sa carrière en qualité de sous-directeur du service de communication sociale au ministère de la Santé publique, puis à l’Institut national de santé publique.

«Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête de ceux qui gouvernent ce pays, je sais seulement qu’ils sont capables de tout. S’il y a des malades atteints du Covid-19, le virus peut bien entendu se propager à travers la foule, surtout si les gens ne sont pas protégés. Mais interdire aux Algériens de marcher serait une idée totalement absurde car avant cela, il faudrait interdire aux gens d’aller au travail, dans les mosquées, les écoles, les transports en commun, les cinémas et les administrations. De telles mesures seraient impossibles à prendre dans notre pays. De plus, à l’extérieur, les risques de propagation sont moins importants que dans les espaces confinés. Donc il faut continuer à marcher», affirme à Sputnik le Dr Oulmane.

Pour le médecin, les autorités feraient mieux de se concentrer sur la prévention en expliquant aux gens les gestes simples qui permettent de limiter la propagation du virus (se laver les mains, éternuer dans son coude, porter un masque jetable, utiliser un mouchoir à usage unique). Il sait de quoi il parle puisqu’il a réalisé plusieurs affiches dont celle relative aux mesures de protection contre un autre coronavirus, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MESR-Cov) apparu en 2012. Ce coronavirus est toujours actif en Arabie saoudite. Un bulletin d’information de l’Organisation mondiale de la santé fait état de cinq décès au cours de l’été 2019. «Pour la période allant de 2012 au 31 juillet 2019, le nombre total de cas d’infection par le MERS-CoV confirmés en laboratoire et notifiés à l’OMS à l’échelle mondiale s’établit à 2458, dont 845 décès associés», indique ce bulletin.

© Photo Djamel-Eddine OulmaneAffiche de prévention contre le MESR réalisée en 2013 par le Dr Oulmane.
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Affiche de prévention contre le MESR réalisée en 2013 par le Dr Oulmane.

Il se montre particulièrement pessimiste au sujet de la capacité du secteur sanitaire à faire face à une éventuelle propagation du Covid-19. «Dans l’état actuel des choses, les établissements de santé publique sont incapables de contrer une véritable épidémie», affirme-t-il.

D’ailleurs certaines structures de santé commencent à être confrontées à des débordements. Le 26 février dernier, à Oued  El Athmania, localité de l’est du pays, la situation a dégénéré lorsque la population a tenté d’empêcher l’admission à l’hôpital de deux personnes suspectées d’être atteintes du coronavirus. Il a fallu que la police intervienne pour qu’elles puissent être prises en charge.

Détournement

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Mais heureusement, d’autres ont une façon plus décalée d’appréhender l’épidémie. Si les Algériens sont connus pour tourner en dérision toutes les situations, même les plus dramatiques, la palme revient pour l’instant aux supporters de l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA) qui ont écrit une chanson en l’honneur de leurs éternels rivaux du Mouloudia Club d'Alger (MCA) à l’occasion d’un derby qui s’est joué le 24 février dernier.

Dans une vidéo virale qui a circulé sur les réseaux sociaux, on voit des supporters avec des masques chirurgicaux qui reprennent en chœur des paroles tournant en ridicule les fans du MCA appelés communément Chnawas, (les Chinois): «Celui qui fait du mal le paiera; ne reste pas en face des Chnawas s’ils éternuent.  Le choléra est parti et le coronavirus est arrivé; la situation est dangereuse et le Mouloudia va nous contaminer.» Mais finalement, cette chanson n’a eu aucun effet sur les performances de l’équipe adverse puisque le USMA a perdu le derby. 

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