«Au Liban, techniquement, les banques sont en faillite. Mais personne n’ose déclarer cette faillite.»
L’économiste Samir Aïta a récemment dépeint chez nos confrères de France Culture une situation financière libanaise… compliquée. Avec un secteur bancaire à l’agonie, une dette publique dépassant 165% du PIB et une situation sociale explosive, le Liban vit des heures difficiles.
Le gouvernement du Premier ministre Hassan Diab a demandé l’aide du Fonds Monétaire International (FMI), qui a envoyé une délégation à Beyrouth ce 20 février. Signe de la complexité de la situation, les experts du FMI devraient rester au Liban jusqu’au 23 février. Il faut dire que les dossiers à traiter sont nombreux, en premier lieu desquels le remboursement de 1,2 milliard de dollars d’Eurobonds arrivant à échéance en mars.
IMF begins visit as Lebanon grapples with financial crisis https://t.co/yKtdQEtGiB pic.twitter.com/4tnXhZI598
— Middle East Affairs (@AffairsEast) February 20, 2020
Le 18 février, Hassan Diab avait reçu une délégation de la Société Financière Internationale (IFC), institution financière du groupe de la Banque mondiale. D’après un communiqué du bureau du Premier ministre, la rencontre a réuni «plusieurs ministres et porté sur la mise en place de projets conjoints de coopération entre les secteurs public et privé et le développement du secteur des transports, ainsi que l’aéroport».
En plus de graves difficultés économiques, le seul pays réellement multiconfessionnel du Moyen-Orient est frappé par une gave crise sociale depuis plusieurs mois. Des dizaines de milliers de Libanais descendent régulièrement dans la rue afin de montrer leur opposition au gouvernement. Une fronde qui a poussé l’ex-Premier ministre Saad Hairi à la démission le 29 octobre dernier.
Comment en est-on arrivé là? Comment le Liban peut-il sortir de la crise? Nous faisons le point avec François Costantini, Docteur en sciences politiques et auteur de «Le Liban: Histoire et destin d’une exception» paru en 2017 aux éditions Perspectives libres.
Sputnik France: Comment le Liban en est-il arrivé à une telle situation économique?
François Costantini: «Pour plusieurs raisons. La première est à chercher du côté du conflit qui a déchiré le pays pendant 15 ans. Il a provoqué un effondrement économique et une perte des forces vives de par les migrations forcées. Sans parler du fait que pendant la guerre et l’occupation, la Syrie a littéralement pompé 4 à 5 milliards de dollars par an pendant 15 ans dans l’économie libanaise. De plus, après la guerre, la reconstruction s’est faite par un endettement massif et s’est concentrée sur le centre-ville de Beyrouth. Il y a également un énorme problème de corruption et d’inefficacité de l’État. De nombreux fonctionnaires pratiquent l’absentéisme. Un problème de corruption endémique touche le pays, notamment dans les parties chiites comme à Amal. Dans le sud du pays, les gens du Hezbollah sont exemptés de taxes, ce qui entraîne une moindre rentrée d’impôts. Enfin existe le vieux problème de l’effondrement de la livre libanaise et le fait qu’elle soit connectée au dollar, alors que c’était une monnaie forte, y compris durant le conflit. La balance des paiements, devenue déficitaire, a érodé la confiance en la livre libanaise. Je rajouterai qu’il y a 50 ans, le Liban fournissait les services à un Proche-Orient en plein développement, notamment dans les secteurs informatiques, touristiques et bancaires. Tout cela s’est transféré vers les États du Golfe. Nous voyons donc que le Liban doit composer avec des tendances très lourdes et d’autres plus récentes qui minent son économie.»
Sputnik France: Selon l’économiste Samit Aïta, qui s’est confié à France Inter, «Au Liban, techniquement, les banques sont en faillite. Mais personne n’ose déclarer cette faillite. Car dans le système bancaire libanais, 1% des déposants ont 60% des dépôts. Et dans ce 1%, il y a les chefs confessionnels. Personne n’osera couper dedans, ni au gouvernement ni au Parlement, qui dépend des mêmes chefs politiques.» Vous êtes d’accord avec lui?
François Costantini: «Oui. La corruption est la question centrale. Le fait que ces gens-là tiennent le pays s’explique, non pas par le système confessionnel, mais par un système politique que la Syrie a contribué à mettre en place et qui l’est resté, notamment du fait du retournement du Président libanais Michel Aoun en faveur des pro-Syriens. Le lien entre pouvoir politique et pouvoir économique au Liban est très fort, il est presque indissociable.»
Sputnik France: Une délégation du FMI est arrivée le 20 février à Beyrouth. Pour le moment, aucun plan de sauvetage n’a été décidé. Cependant, pensez-vous possible que le Liban se retrouve dans une situation à la Grecque, sous la tutelle de créanciers?
François Costantini: «Le remède serait pire que le mal. Je rappelle que les remèdes appliqués à la Grèce par ses créanciers ont entraîné une chute colossale du produit intérieur brut en trois ans. Le Liban n’a pas besoin d’un remède de cheval susceptible d’achever le malade. Le vrai problème libanais concerne la corruption. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. Nous parlons de dizaines de milliards de dollars qui ont été détournés lors de la reconstruction du pays et ce n’est pas au peuple libanais de payer les turpitudes de sa classe politique. Les plans du FMI font payer aux peuples les erreurs politiques. En Grèce, on a fait passer à la caisse les citoyens à cause des comptes escamotés présentés par les gouvernements successifs d’Athènes.»
Sputnik France: Quelles conséquences pour la région aurait un effondrement économique du Liban?
François Costantini: «Le Liban continue à perdre ses forces vives et ce sont essentiellement des chrétiens. Ils ne partent presque plus vers l’Europe, mais vont surtout aux États-Unis, au Canada ou en Australie. La jeunesse chrétienne libanaise qui s’en va fait mal aux pays et fait mal aux chrétiens. Le Liban a besoin d’équilibre. Il est le seul pays du Moyen-Orient où les chrétiens peuvent marcher la tête haute. Dans les autres, ils ne sont que des dhimmis, des citoyens de seconde zone. Plus globalement, un effondrement du Liban ferait mal à l’ensemble du Moyen-Orient.»