C’est un scrutin décisif pour l’Iran, mais aussi pour la région: les législatives se dérouleront vendredi 21 février en Iran. Celles-ci donneront le ton pour l’élection présidentielle qui aura lieu en 2021, et en fin de compte, la direction politique que prendra le pays pour les années à venir.
Depuis la révolution islamique de 1979, l’Iran est tiraillé politiquement entre les factions modérées et conservatrices de la classe politique. En Occident, alors que beaucoup se réjouissaient de la posture mesurée du Président Hassan Rohani, élu en 2013, beaucoup s’inquiètent désormais des échéances électorales iraniennes en 2020 et 2021.
«Littéralement, ce n’est plus une course. Les partisans de la ligne dure veulent la présidence. C’est la fin de la modération pour au moins une décennie, si ce n’est plus», a déclaré à Reuters un fonctionnaire iranien, sous couvert d’anonymat.
#Iran Les prochaines élections législatives au parlement mollahs du 21 février ne manqueront pas d'ajouter des problèmes au fragile régime iranien, déjà ébranlé par une pléthore de crises.
— REJAI Djavad (@RejaiD) February 9, 2020
Boycott national des élections des Iraniens @Iavoixdunord @SophieFilippi @MarjorieDuponch pic.twitter.com/bHOmAM79gb
Le retrait unilatéral américain de l’accord sur le nucléaire de 2015, la réimposition des sanctions, l’assassinat du général Qassem Soleimani, sont autant de décisions qui ont revigoré le courant conservateur au pays des mollahs. Déterminé à marquer le coup lors de ces législatives, le conseil des Gardiens de la révolution, organe plutôt conservateur du gouvernement, qui valide les candidatures, en a rejeté pas moins de 7.296. Des disqualifications qui pourraient entraîner un taux de participation réduit à ces élections.
Législatives en #Iran :
— Laura-Maï Gaveriaux (@lmgaveriaux) February 15, 2020
l'entourage de Trump (peut-être Trump lui-même) a pensé pouvoir faire du "regime change" avec sa politique de pression maximum.
Aux dernières nouvelles : aucune défection au sein du régime. Le seul impact : virage à droite prévu au plan intérieur (majlis)
Dans ce contexte de tensions accrues avec les États-Unis, quelles perspectives peut-on avoir pour ces élections? Et quelles conséquences celles-ci peuvent-elles avoir sur la politique, intérieure et extérieure de l’Iran pour les années à venir? Sputnik France a posé ces questions à Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de l’Iran.
Sputnik France: Quels sont les principaux enjeux des législatives à venir en Iran?
Thierry Coville: «L’enjeu essentiel, comme à chaque élection en Iran depuis 40 ans, c’est de montrer qu’il y a un soutien populaire au système politique par un taux de participation élevé. Le deuxième enjeu, qui dure aussi depuis longtemps, c’est l’affrontement entre le camp des modérés et des ultraconservateurs. Compte tenu des tensions internationales avec les États-Unis, et connaissant la place importante qu’occupe la politique étrangère en Iran, ces élections auront un impact fort sur le type de stratégie qui sera mis en place en Iran dans sa quasi-guerre avec les États-Unis.»
Sputnik France: La candidature de milliers de réformateurs a été invalidée pour ces législatives. Est-ce le régime qui durcit le ton après l’escalade des tensions de ces derniers mois?
Thierry Coville: «Oui, mais ça date même d’avant l’escalade qui a suivi la mort de Soleimani. Ce durcissement a commencé en 2018 avec le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire et le retour des sanctions. Ces dernières ont causé une recrudescence des problèmes économiques et sociaux dans le pays, causant une forte baisse de popularité du Président Hassan Rohani. Cela a enflammé le débat entre modérés et conservateurs en interne, et les partisans d’un régime dur ont trouvé là un moyen d’avancer leurs arguments. Les ultras du régime voient là une possibilité de récupérer une partie de pouvoir qu’ils avaient perdu depuis l’élection de Rohani en 2013. Comme ils contrôlent le conseil des Gardiens, ils peuvent sélectionner les candidats à ces législatives et en font une utilisation politique. Preuve en est que le nombre de candidats écartés pour ces élections est sans précédent.»
Sputnik France: La stratégie de «pression maximale» de Donald Trump est de pousser dehors les conservateurs du régime par la rue ou par les urnes. Pensez-vous qu’il soit possible que les Iraniens sanctionnent électoralement le régime pour se donner de l’air économiquement?
Thierry Coville: «Ce n’est pas aussi simple. La logique des conservateurs, c’est que la perte de crédibilité de Rohani est telle que, même s’il avait tout fait bien, le taux de participation aurait été faible, ce qui joue en sa défaveur. Les conservateurs ne veulent prendre aucun risque et souhaitent gagner largement ces élections, d’où le refus par le conseil des Gardiens de la révolution de nombreuses candidatures.
Il y a là un paradoxe très intéressant par ailleurs: dans la diabolisation de l’Iran, un pays décrit en Occident comme une dictature fermée, la principale question que se pose le peuple est: “allons-nous participer ou pas aux élections?” Selon moi, c’est un processus très sain sur le plan démocratique. La classe moyenne urbaine trahie par Rohani ne se rendra probablement pas aux urnes. Il y a d’ailleurs un sondage fait par l’Université de Téhéran qui place le taux de participation à 25% à Téhéran, et c’est une prévision partagée par tous les analystes en Iran. Même si les chiffres peuvent être grossis par le régime une fois que l’élection a eu lieu, ça donne une idée de l’implication politique des citoyens dans les zones urbaines.»
Selon un sondage mené par l’université de Téhéran, 24% des habitants de la capitale voteront aux législatives du 21 février, contre 50% en 2016. Ces élections sont marquées par une grande disqualification des candidats critiques du système. #Iran
— Ghazal Golshiri (@GhazalGolshiri) February 17, 2020
Sputnik France: Est-ce la fin d’une époque pour les réformistes et modérés en Iran, qui ont eu une fenêtre d’ouverture sous Rohani?
Thierry Coville: «Ces changements de direction politique ne sont pas nouveaux. Au contraire, c’est plutôt cyclique. Ça a commencé à la fin des années 1990 avec Mohammad Khatami, qui était modéré, puis il y a eu le conservateur Mahmoud Ahmadinejad, puis il y a de nouveau eu un modéré en la personne de Rohani. L’ouverture, elle était plutôt pour les pays occidentaux, qui ne l’ont pas saisie. L’élément qui a déclenché le retour en force des radicaux en Iran, c’est la sortie de l’accord sur le nucléaire, et en faisant cela, les États-Unis font tout pour ramener les radicaux au pouvoir.»