Face à l’extraterritorialité du droit américain et Huawei dominant le marché de la 5G, la France et l’Europe peuvent-elles recouvrer leur souveraineté numérique? C’est l’ambassade de Chine à Paris qui a dégainé ce 9 février, en s’inquiétant d’éventuelles «mesures discriminatoires» de la France contre l’équipementier Huawei. Le communiqué offensif s’interroge ainsi sur la diffusion de plusieurs «reportages récents dans plusieurs médias français» évoquant cette possibilité. Rappelant «l’engagement pris» par Emmanuel Macron en mai 2019 de ne pas lancer «une guerre technologique ou une guerre commerciale», le porte-parole de l’ambassade a réfuté également «tout risque technique ou sécuritaire». L’entreprise chinoise s’était vu en 2019 fermer les portes du marché américain justement à cause de soupçons d’espionnage. Tout en restant diplomate, le communiqué a mis en garde le gouvernement français contre d’éventuelles sanctions: «nous ne souhaitons pas voir le développement des entreprises européennes dans le marché chinois affecté à cause de la discrimination et du protectionnisme».
Sputnik France: Comment jugez-vous la position de la France vis-à-vis de Huawei?
Pierre Picquart: «C’est un clin d’œil fait aux alliés. La principauté de Monaco a choisi de s’équiper en 5G avec l’équipementier chinois, les Britanniques vont peut-être le faire, les Allemands également. Sur cette question, les Européens marchent sur la pointe des pieds et essaient de donner des gages à leurs alliés, c’est-à-dire, les Américains, en admettant des failles de sécurité. Ceux-ci se montrent prudents, mais ils insistent sur les avantages de Huawei par rapport à ce qui lui est reproché ici ou là. Il n’est pas certain que la France adopte des mesures restrictives contre Huawei, dans le cadre du déploiement de la 5G que Paris envisage de prendre, avec un léger retard. La France n’a pas intérêt à se mettre à dos à la fois les États-Unis, qui deviennent de plus en plus protectionnistes, et la Chine, qui représente toujours le plus grand marché mondial. On assiste à un jeu d’équilibristes qui consiste à rechigner, mais je ne pense pas que la France puisse se passer de Huawei. Si la commercialisation de Huawei est interdite, la Chine appliquera des mesures réciproques sur d’autres équipementiers, d’autres produits ou d’autres services. L’affaire Huawei est donc un enjeu majeur.»
Sputnik France: Pensez-vous que cette menace de réciprocité des sanctions est réelle?
Pierre Picquart: «Tout à fait. Les Chinois l’ont fait avec les Américains, avec les taxes imposées par les États-Unis. C’est une façon de prier la France d’accepter l’équipementier. Il pourrait y avoir une solution intermédiaire, à savoir prendre certains équipements de Huawei aux niveaux locaux et aux niveaux régionaux, mais que le cœur de l’intelligence dirigeant l’ensemble du réseau, ne soit pas de la marque Huawei. Ce qui serait un compromis par rapport aux craintes américaines et aux craintes chinoises. Mais on constate aujourd’hui que la Chine n’hésite plus à se comporter comme un partenaire qui souhaite véritablement le libre-échange mais qui, en même temps, répond aux mesures qui peuvent lui nuire sur le commerce mondial, notamment par rapport à ses produits phares. Pour la 5G, son fleuron est Huawei, qui déterminera de nombreux enjeux numériques de demain. La Chine ne compte pas céder et, en tout cas, fait pression sur les pays européens et la France.»
Pierre Picquart: «Pour vous répondre, il me faudrait être un expert des télécommunications. Quand on connaît les liens entre les grandes entreprises américaines entre PayPal, Google, Amazon et autres, avec les services de renseignement américains, on se doute bien que c’est à peu près la même chose avec les entreprises françaises et le gouvernement français, puis des entreprises chinoises et le gouvernement chinois. Dire que Huawei est peut-être plus dangereux, c’est une façon de se protéger alors que tous les pays font à peu près la même chose. La première mission des nations à leur naissance, c’est la création de services de renseignement à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Dans le domaine de l’intelligence économique, la plupart des pays applique une forme d’espionnage, en tout cas, d’écoute active de ce qui se passe à l’étranger ou même chez eux pour favoriser leurs entreprises.»