L'an dernier, la Réserve fédérale américaine a revu à la baisse le taux directeur trois fois et a relancé les injections de liquidités dans l'économie en faisant tourner la planche à billets. Mais cela n'a pas suffi. Le ministère du Commerce préparerait un nouveau plan.
Les guerres monétaires
Donald Trump critique depuis longtemps la Fed, dont les actions favorisent un dollar «trop fort» aux yeux du Président américain. Ce dernier s'inquiète du fait que le cours élevé de la monnaie américaine gêne les exportations de produits et de services, provoquant l'augmentation du déficit de la balance commerciale - qui a atteint 853 milliards de dollars en 2019.
Si le cours du dollar diminuait, il serait plus favorable pour les acheteurs étrangers d'acquérir des produits américains, ce qui stimulerait la production américaine tout en réduisant le déficit du commerce extérieur.
L'an dernier, le locataire de la Maison-Blanche a déclaré à plusieurs reprises que la Chine et l'UE réduisaient artificiellement le cours de leur monnaie pour obtenir des avantages par rapport aux producteurs américains, c'est pourquoi la Fed devrait prendre exemple sur les autres banques centrales et diminuer le taux directeur pour affaiblir le dollar.
Ce qui n'est pas dépourvu de sens: comme le rapporte la Conférence de l'Onu sur le commerce et le développement (CNUCED), en 2019 le commerce mondial de marchandises à baissé de 2,4% après une croissance autour de 10% en 2018. La dynamique négative devrait se maintenir ces deux prochaines années.
Dans ces conditions, il est fort probable que les banques centrales prennent des mesures de stimulation pour soutenir les économies nationales. Cependant, le potentiel de baisse des taux directeurs est pratiquement épuisé et il est impossible d'aller plus bas. Ne reste donc plus qu'à affaiblir les monnaies afin d'accroître la compétitivité des marchandises exportées sur le marché mondial.
«Actuellement, les taux d'escompte ont atteint un minimum historique, c'est pourquoi les banques centrales ne peuvent pas influencer le coût des prêts de manière traditionnelle. Le seul moyen consiste à affaiblir les monnaies nationales», constate Thanos Vamvakidis, chef de département à la Bank of America Merrill Lynch pour la politique monétaire des pays du G10.
Dans ces conditions, Washington réfléchit à de nouvelles mesures qui permettraient de renforcer la compétitivité des producteurs nationaux, et notamment à des taxes supplémentaires sur les marchandises des pays qui font baisser le cours de leur monnaie.
Conformément aux règles que s'apprête à adopter le ministère américain du Commerce, les compagnies américaines pourront déposer des plaintes contre les concurrents étrangers qui profitent de la faiblesse des monnaies nationales en tant qu'avantage marchand. Leurs produits seront soumis à des taxes supplémentaires.
De plus, le ministère du Commerce a l'intention d'identifier lui-même les fournisseurs malhonnêtes. «Sachant que le ministère jouera à la fois le rôle de plaignant, de juge et d'exécutant dans de telles affaires», écrit le Financial Times.
«Les nouvelles taxes sont une mesure importante pour lutter contre les pratiques commerciales malhonnêtes, a déclaré le secrétaire au Commerce Wilbur Ross. Les administrations précédentes évitaient de lutter contre les manipulateurs monétaires, alors que l'administration Trump prend des mesures afin de protéger les compagnies et les travailleurs américains.»
Il est évident que les taxes supplémentaires affecteront surtout les producteurs japonais et chinois. Toutefois, de nombreux produits européens pourraient également être visés car les banques centrales du Vieux Continent font de plus en plus activement l'expérience de taux directeurs négatifs.
Les taux négatifs
Eswar Prasad, économiste et professeur à l'université Cornell, est convaincu que Washington ne s'arrêtera pas là et se battra activement contre le renforcement du dollar.
En témoigne le récent appel de Donald Trump adressé à la Réserve fédérale:
«La Fed doit devenir plus intelligente et réduire le taux pour nous rendre compétitifs par rapport à d'autres pays. Ensuite nous nous focaliserons sur le remboursement et le refinancement de la dette!», a écrit le Président américain sur Twitter le 28 janvier.
Cette déclaration va clairement à l'encontre des conditions de l'accord de «première phase» signé par Donald Trump avec la Chine le 15 janvier, écrit le quotidien Wall Street Journal.
Conformément à cet accord censé entrer en vigueur en mars, les États-Unis «s'engagent à s'abstenir d'une dévaluation concurrentielle et à ne pas utiliser les taux de change à des fins concurrentielles, notamment par le biais d'une ingérence unilatérale vaste et insistante sur les marchés boursiers».
Selon les analystes, l'exigence actuelle adressée à la Fed n'est rien d'autre qu'une «dévaluation concurrentielle». Autrement dit, le locataire de la Maison-Blanche donne à Pékin un sérieux prétexte pour renoncer à l'entente conclue.
Néanmoins, les experts ne doutent pas que Donald Trump persuadera la Fed de baisser les taux et que la monnaie américaine s'affaiblira.
«Donald Trump exige constamment de la Fed d'affaiblir le dollar et de passer aux taux négatifs, ce qui affecterait le cours de la monnaie américaine et réduirait significativement le rendement des actifs en dollars», indique Hans Redeker, stratège monétaire de Morgan Stanley.
Les stratèges des fonds d'investissement américains, notamment M&G Investments Ltd., Brandywine Global Investment Management et ABN Amro Bank, prédisent également l'affaiblissement du dollar. Selon les estimations des experts, en 2020 la monnaie américaine devrait perdre entre 3 et 5%. Si cela s'avérait insuffisant, la Fed engagerait un assouplissement plus agressif de la politique monétaire.