Alors que le Cameroun est confronté à de multiples crises, une autre brèche s’est ouverte dans le secteur de l’éducation. Le 30 janvier dernier, des milliers d’enseignants ont été chargés par des policiers et gendarmes armés de canons à eau et de gaz lacrymogènes dans la capitale Yaoundé. Ils s’étaient rendus à la morgue du Centre hospitalier universitaire de la ville pour rendre un dernier hommage à leur défunt collègue, assassiné quelques jours plus tôt par un élève.
Comme ils entamaient la procession en direction de l’École normale supérieure, leur marche a été stoppée par les forces de l’ordre qui craignaient «des troubles à l’ordre public». Une intervention qui a dégénéré en scènes de violence, incompréhensibles pour Jacques Bessala, président du Collectif des enseignants indignés du Cameroun, lui-même arrêté ce jour-là.
«Cette répression n’avait pas lieu d’être. Mobiliser 10.000 enseignants pour rendre hommage à un collègue était notre unique objectif. En quoi un simple hommage pouvait-il menacer l’ordre public?», s’interroge l’enseignant au micro de Sputnik.
Armand Noutack, enseignant au lycée classique de Bafoussam à l’Ouest du pays, ne tarit pas de colère. Pour ce dernier, l’image du professeur a été une fois de plus éclaboussée sans vergogne.
«J’ai vécu ce moment avec beaucoup de peine car les enseignants sont le miroir de la société. Ce que nous avons subi est la preuve que ce pays n’a aucune considération pour notre profession. Lorsque l'on brutalise les éducateurs en Mondovision, quelle image du pays veut-on renvoyer au monde?», s’indigne-t-il au micro de Sputnik.
Dans le contexte de crise protéiforme que traverse le Cameroun, Dieudonné Essomba, économiste, dans une tribune libre, fustige l’attitude des gouvernants de Yaoundé, «plombés par une boulimie du pouvoir» et qui, au lieu de trouver des solutions, préfèrent «multiplier les bombes dans la République, et transformer des bisbilles, des problèmes mineurs et parfaitement localisés, en problèmes nationaux pouvant entraîner des guerres!».
Les enseignants ne décolèrent pas
Devant cette indignation collective, Paul Biya, sans se prononcer sur la récente manifestation, a tenu à saluer la mémoire de Kevin NJomi Tchakounte, l’enseignant tué le 14 janvier dernier, par son élève au lycée de Nkolbisson et dont le tragique assassinat en plein exercice de sa profession est à l’origine des récentes manifestations.
Un hommage qui cache mal les travers d’une profession aux abois. Au lendemain des manifestations, le 31 janvier, une réunion de crise s’est tenue au cabinet du Secrétariat général des services du Premier ministre, en présence du CEIC. Cette rencontre avait pour objectif de faire le point sur l’incident du 30 janvier, les revendications des enseignants ainsi que sur les solutions à apporter aux problèmes posés. Au chapitre des urgences face à la violence dans les écoles, le collectif a exigé:
«La sécurisation des établissements scolaires. Il faut mobiliser les ressources avec des acteurs précis. Sur le plan interne, nos écoles doivent être bien bâties, bien clôturées avec de grands murs, et un système de vidéosurveillance. On doit y retrouver des infirmeries équipées et pas seulement», liste Jacques Bessala.
«Nous réclamons la tenue d’un dialogue national sur la violence en milieu scolaire et un forum national de l’éducation tel que recommandé au grand dialogue national», peut-on lire dans le communiqué commun des syndicats.
Dans une déclaration du 4 février, en marge du lancement de la semaine nationale du bilinguisme, la ministre des enseignements secondaires Pauline Nalova Lyonga Egbe est revenue sur le cas des violences dont sont victimes les enseignants. Elle précise que «l'éducation des élèves se fait dans le cadre d'un partenariat entre les enseignants et les parents» et apporte comme début de solution «l’installation des caméras de surveillance dans les lycées».
Urgente réforme
Cependant, pour les éducateurs, les violences ne sont qu’une partie du problème. Dans le pays, les enseignants du primaire et du secondaire partagent les mêmes peines. Ces derniers sont tous concernés par nombre de revendications. Des plaintes qui reviennent et se répètent d’un professeur à l’autre.
«Les difficultés rencontrées par les enseignants sur le terrain sont multiples: les salaires médiocres, les difficiles conditions de travail, les salles de classe surchargées, l'absence de matériel didactique, (vidéo-projection, laboratoire...), le manque de moyens financiers pour les descentes sur le terrain, le non-respect du statut de l'enseignant, le mépris dans la société», fulmine Armand Noutack.
«Il y a un certain nombre de mesures qui ont été prises pour doucher le prestige et l'autorité de l'enseignant. Quel est son traitement salarial? Comparé à ce qu'il gagnait avant, c'est minable. Il est grand temps que nous revoyions les textes de cette République qui ont retiré l'autorité à l'enseignant. Dans un pays qui se veut respectable et équilibré, la priorité est accordée à trois secteurs névralgiques: la sécurité, la santé et l'éducation», souligne le président du CEIC.
Au sorti du grand dialogue national, qui s’est tenu à Yaoundé du 30 septembre au 4 octobre dernier, l’une des recommandations majeures était l’organisation d’un «forum national de l’éducation», visant à réformer le secteur et à améliorer les conditions de travail des éducateurs. Si, pour l’instant, aucune date n’a été avancée pour la tenue de ces assises, les syndicats comptent maintenir la pression sur les décideurs.