L’assassinat du général iranien Qassem Soleimani fut une «exécution extrajudiciaire», c’est-à-dire un meurtre programmé, malgré les proclamations américaines d’autodéfense. Mark Esper, secrétaire à la Défense des États-Unis, a avoué qu’il ne disposait d’aucune information sur de possibles attaques imminentes d’ambassades américaines, se mettant ainsi en porte-à-faux avec Donald Trump.
Pourquoi donc frapper Soleimani maintenant? Alain Rodier, directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), explique:
«Je crois que Trump a eu peur d’une chose: la ligne rouge qui a été franchie. Ça a été l’assaut contre l’ambassade américaine à Bagdad. Et ça lui a rappelé de très mauvais souvenirs, la mort de l’ambassadeur américain en Libye.»
Rodier avoue que malgré sa longue carrière de lutte contre des menaces terroristes dans les services de renseignement français, c’est la première fois qu’il a peur, justement à cause des réactions comme celle de Trump:
«Aujourd’hui, j’ai peur parce que maintenant, il n’y a plus de responsable politique qui voit vraiment l’intérêt de son pays et qui reste raisonnable. On a parfois l’impression qu’on est dirigés par des amateurs qui sont prêts, comme Trump, à faire tout d’un coup n’importe quoi [...]
Le docteur Bernard Kouchner vient de déclarer que Soleimani méritait 25 fois la mort. Eh bien, il y a une quinzaine d’années, qu’un médecin ait fait une telle déclaration m’aurait horriblement choqué.»
Malgré les accusations de «sang américain sur ses mains», Rodier explique qu’au moment de la mort de Soleimani, il était en mission de paix en Irak:
«Il était en mission diplomatique. Il devait théoriquement rencontrer le Premier ministre irakien, parce qu’il y aurait eu une proposition de dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran... Les Américains, ce n’est pas du tout ce qu’ils souhaitent, de toute façon.»
L’ancien officier de renseignement rappelle la popularité de Soleimani en Iran, au point qu’elle pouvait peut-être déranger le pouvoir iranien:
«Qassem Soleimani aurait commencé à être gênant à l’intérieur du régime iranien, parce qu’il commençait à être connu... Beaucoup de gens le voyaient effectivement rentrer en politique, et certains l’imaginaient même se présenter à la présidence.»
L’auteur du livre «Face à face Téhéran– Riyad: Vers la guerre?» (Éd. Histoires et Collections) explique qu’en fin de compte, l’Iran a subi un coup d’arrêt à la poursuite des hostilités, mais qu’il y a eu aussi des conséquences imprévues:
«L’un des résultats inattendus de cet assassinat ciblé, c’est que ça a fait disparaître ces manifestations violentes, avec des centaines de morts, en Irak. Ça a fait disparaître aussi, pour le moment, les manifestations en Iran même. Sauf qu’il y a eu l’accident de l’avion ukrainien abattu par erreur par les pasdarans, qui en plus a replongé la population dans le malaise.»