Le communiqué publié jeudi 16 janvier dernier par les six pays de la zone monétaire ouest-africaine (ZMOA) en marge d’une rencontre à Abuja (Nigeria) ne laisse planer aucun doute. Après avoir souligné leur «préoccupation» quant à la déclaration visant à renommer «unilatéralement» le franc CFA en ECO d’ici à juillet 2020, les ministres des Finances et gouverneurs des banques centrales des six pays anglophones de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont averti que «cette action n’est pas conforme aux décisions de la CDEAO en vue de l’adoption de l’ECO comme nom de la monnaie unique» par toute la région.
Toutefois, cette annonce faite dans le cadre d’un sommet bilatéral avec Emmanuel Macron, en visite officielle en Côte d’Ivoire, lors d’une cérémonie de signature entre l’UEMOA et la France marquant, symboliquement, la fin des accords du Franc CFA de 1949, avait fait grincer de nombreuses dents, notamment dans les rangs de ceux qui militent pour la fin du franc CFA. Quand bien même la plupart des officiels, y compris les plus hautes autorités du Ghana, ont parlé d’une «évolution historique», les soupçons concernant un hold-up de l’ECO par le Président ivoirien ont jailli de toute part.
«Le Président Ouattara n’aurait pas dû mettre en avant la France lors de l’annonce que l’UEMOA allait adopter l’ECO d’ici à juillet 2020. C’est en soi une bonne décision puisqu’elle suppose une sortie du franc CFA, mais il a braqué les anglophones en voulant aller trop vite. Au final, on a l’impression que soit il a fait preuve d’amateurisme, soit c’est un sabotage délibéré de sa part pour que l’ECO ne voie pas le jour. En tout cas, c’est un mauvais signal en termes de cohérence politique pour la future zone monétaire de la CEDEAO», commente Makhoudia Diouf au micro de Sputnik France.
Parité fixe versus parité flexible
À l’instar des autres militants anti-CFA, le président du collectif «Sortir du franc CFA» penche pour la thèse du simulacre. Car sinon, comment expliquer les raisons pour lesquelles le chef de l’État ivoirien se serait ainsi «précipité» pour annoncer l’adoption du nom de l’ECO par l’UEMOA comme nouvelle appellation de «ce qu’il faut bien appeler un franc CFA de transition, faute de mieux?», argue-t-il.
«Certes, la France a annoncé son retrait des instances de décision, mais il n’est pas encore effectif. D’une part parce que la France continuera à garantir la convertibilité (de l’ECO/CFA en euros, ndlr) en cas de difficulté. Et, d’autre part, parce que les nouvelles coupures seront toujours imprimées en France: à Clermont-Ferrand, pour les billets, et à Bordeaux, pour les pièces», estime Makhoudia Diouf.
Même s’il n’est pas défavorable au maintien d’une parité fixe transitoire avec l’euro, «le temps que l’ECO gagne en crédibilité auprès des investisseurs», le géopolitologue sénégalais, qui enseigne en lycée en Eure-et-Loir, où il vit, ainsi qu’en école de commerce à Paris (IGS), s’insurge contre toute manœuvre dilatoire pouvant être fatales à l’ECO. Tout en gardant à l’esprit que rien n’empêche les chefs d’État de la CEDEAO de décider, éventuellement, de repousser la date de son lancement.
«Nous continuons à soutenir l’ECO comme monnaie unique de la CEDEAO et demandons que les instances de la CEDEAO en charge de l’avènement de cette monnaie se mettent au travail, sans tarder, dans le strict respect de la feuille de route des chefs d’État de la CEDEAO», martèle Makhoudia Diouf
Un sommet réunissant les chefs d’État de la ZMOA est d’ailleurs «bientôt» prévu pour décider de la conduite à tenir entre les cinq états anglophones (Gambie, Ghana, Nigeria, Libéria, Sierra Leone) et la Guinée vis-à-vis des huit États membres de l’UEMOA, selon le communiqué final des ministres et des gouverneurs de la zone publié à Abuja.
Monnaie unique versus monnaie commune
Professeur d'économie et maire d’Azaguié (région Sud), Mamadou Koulibaly, qui est candidat du parti d’opposition Lider à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 en Côte d’Ivoire, s’insurge sur le fait que le Président Ouattara ait pu croire que le franc CFA allait devenir l’ECO «par simple annonce». Pour lui, le «vrai» débat se situe à un autre niveau: sur le fait de savoir si l’ECO sera une monnaie unique ou bien une monnaie commune.
«L’imbroglio qui ressort des prises de position divergentes des francophones et des anglophones de la CEDEAO, plus la Guinée, peut, en fait, être facilement résolu. Il suffit que les chefs d’État de cette zone réaffirment clairement qu’ils veulent l’ECO, alors il sera plus facile de promulguer le traité de l’union monétaire de la CEDEAO ainsi que les statuts de la future Banque centrale ouest-africaine », affirme Mamadou Koulibaly au micro de Sputnik France.
CEDEAO-Eco:
— Mamadou Koulibaly (@M_Koulibaly) 16 janvier 2020
Les ministres ZMAO demandent à leurs chefs d'Etats de convoquer une conférence au sommet pour discuter en profondeur de la réforme monétaire.
1) La Fcfa peut-il simplement être Eco, par annonce des chefs de l'Umoa?
2) L'Eco sera-t-il monnaie UNIQUE ou monnaie COMMUNE? pic.twitter.com/sGm9z3qtGA
La difficulté de concilier les positions au sein de la CEDEAO, avec des politiques monétaires très différentes dans les deux zones, ne date pas d’aujourd’hui. Au début des années 2000, rappelle Mamadou Koulibaly, la CEDEAO avait créé un bureau à Accra (Ghana) pour travailler sur les pays «non CFA» et voir comment faire progressivement fusionner les monnaies des États membres de la ZMAO avec le franc CFA. Une tentative qui est restée lettre morte jusqu’à l’annonce le 29 juin 2019 à Abuja, à l’issue d’un sommet de la CEDEAO, que le nom de la future monnaie unique serait l’ECO.
«Or, pour qu’une monnaie unique voie le jour dans le cadre d’un ensemble de pays aussi disparates (que les 15 États membres de la CEDEAO, ndlr), il faut un abandon substantiel de souveraineté. C’est-à-dire que pour avoir l’ECO, il faut un budget unique, un déficit unique, un parlement unique, un gouvernement unique. Et, donc, former une fédération à l’instar du dollar des États-Unis ou d’autres monnaies comme le niara au Nigeria, le rouble en Russie, etc.», argue-t-il.
Alors que dans l’autre camp, celui de l’UEMOA, la tendance est plutôt d’aller dans la direction de l’Union européenne. Même si «les États de la CEDEAO se rendent compte, affirme-t-il, qu’il leur sera difficile de mettre, ensemble, des pays avec des niveaux de développement et de productivité du capital si différents». Or, c’est exactement ce qui s’est passé en 2000 dans l’Union européenne avec l’arrivée de l’euro.
«Les pays les plus dynamiques ont récupéré toutes les usines et tous les investissements. Au sein de l’UE, c’est l’Allemagne qui a le plus profité de la monnaie commune. Et même si les États européens les moins développés ont bénéficié de la manne financière de Bruxelles, ils sont aujourd’hui hyper endettés vis-à-vis de Berlin dans le cadre de Target 2. D’où la contestation actuelle vis à vis de l’euro et de l’intégration au sein de l’UE. En fait, les pays qui n’ont pas l’euro marchent mieux que ceux qui l’ont, car une monnaie commune ne permet pas de faire les ajustements nécessaires», insiste Mamadou Koulibaly.
«Ne rêvons pas trop! Compte tenu de l’attachement des États africains aux frontières actuelles, la meilleure solution –à court terme– serait que chaque pays crée sa propre monnaie. Toutefois, l’annonce de l’ECO a provoqué une telle émotion et un tel engouement auprès des populations que je me dis que le temps est, peut-être, venu. Mais il faudra au moins cinq ans avant que les économies de la zone commencent à converger!», affirme le professeur d’économie.
Pour l’opposant à Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, l’ECO ne pourra voir le jour que sous certaines conditions et il est important que les peuples le comprennent. Car cela suppose énormément de réformes qui doivent avoir l’adhésion des populations. «Nous sommes à un tournant historique, car ce sera la fédération ou bien le chacun pour soi!», prédit-il.