Après l’Amazonie, la Sibérie, le Portugal ou encore la Californie, place à l’Australie. Victime de feux de brousse incontrôlables depuis quatre mois, un nouveau bilan paru le 13 janvier fait état de onze millions d’hectares de forêt partis en fumée, des milliers de maisons détruites, des personnes évacuées ou prêtes à partir si le feu revenait. Le seuil du milliard d’animaux morts est franchi et une vingtaine de personnes ont été tuées, dont des pompiers. Mais d’après Joëlle Zask, «l’Australie est l’objet d’un spectacle qui nous enfonce dans notre fauteuil, mais qui ne nous pousse pas à l’action.»
Si la Terre a toujours brûlé, aujourd’hui elle brûle de façon excessive. Si des incendiaires et certaines décisions hasardeuses prises au nom de l’écologie ont joué leur rôle dans ces catastrophes, il est certain que ces incendies sont aggravés par le réchauffement climatique, avec des conditions météorologiques propices à leur profusion. Une situation climatique qui est à la fois cause et conséquence de ce phénomène, que Joëlle Zask définit comme «méga-feux». Une catastrophe qui se propage à travers le monde –les pays du Sud ne sont plus les seuls touchés–, ce qui tend même à bouleverser la science du climat.
«Ces feux ont la propriété de revenir sur leurs pas, ils génèrent leur propre climat, donc ils sont vraiment incontrôlables, on ne comprend même pas très bien leur comportement. Ils créent des orages, des vents, toute sorte de phénomènes qui les attisent. Ce caractère incontrôlable et puis très sensible, ça n’avait pas vraiment été prévu, finalement, donc on ne peut pas vraiment lutter ou s’adapter. C’est une échelle et une violence telle que la seule possibilité, c’est de fuir et de courir très vite, même.»
Les récents feux dans des zones tempérées, comme la Californie ou la province du Sichuan en Chine, voire franchement froids, comme le Canada, le Groenland ou la Sibérie ont prouvé que personne n’est à l’abri des conséquences du changement climatique. Une catastrophe que ces mêmes pays alimentent par leurs émissions importantes de gaz à effet de serre.
Pour Joëlle Zask, comme pour bon nombre d’Australiens qui manifestaient il y a encore une semaine, il est temps de se réveiller et ça commence avec la politique:
«D’abord, cessez de porter au pouvoir des gens qui ne sont pas capables et même qui sont réfractaires à l’idée de placer l’écologie au cœur de leur programme politique. Dans une certaine mesure, qu’ils soient climatosceptiques ou pas, ce n’est pas le problème. Le problème, c’est ce qu’ils font de la question écologique et est-ce qu’ils la considèrent ou pas. Là, ils ne le font pas, mais ce ne sont pas non plus des putschistes, ce sont des gens qui ont été démocratiquement élus. Donc, que font les électeurs? Pour qui vont-ils voter?»
D’après l’enseignante de philosophie à l’université de Marseille, que les gens s’indignent de la situation, c’est bien beau, mais c’est aussi un moyen de se déculpabiliser et de se déresponsabiliser. «Il y a lieu de s’indigner, mais ce n’est pas la mise en accusation de l’exécutif qui est la solution.» Quelle est-elle, dans ce cas?
«Changer notre fusil d’épaule, c’est à la fois renoncer au paradigme très dévastateur de la maîtrise, de la domination et de la destruction de la nature, mais ça veut dire aussi en finir avec cet idéal d’une nature régénératrice, bonne en elle-même, que la présence humaine enlaidit ou esquinte nécessairement, ce que l’on appelle le préservationnisme. Il faut vraiment trouver toute sorte d’outils pour rejeter à la fois l’extractivisme et le préservationnisme, parce qu’ils conduisent aujourd’hui à livrer la forêt aux flammes.»
L’échec de l’expertise
Aujourd’hui, la science cherche à développer toujours plus de technologies pour s’adapter aux éventuelles catastrophes, mais concernant les méga-feux, l’expérience a prouvé qu’il est difficile de s’adapter. Où sont passés les savoirs anciens, aborigènes? Des savoirs affinés par des milliers d’années d’expérience sont redécouverts ou à redécouvrir.
Contre les incendies, les chèvres "sapeurs" au secours des forêts portugaises https://t.co/sF1w59ozpI par @Bruno__Cravo #AFP pic.twitter.com/0qcDKRDH3y
— Agence France-Presse (@afpfr) November 1, 2018
Au Portugal par exemple, des chèvres «sapeurs» sont utilisées pour lutter contre les feux, les animaux broutent les zones de maquis, évitant la propagation des flammes.
«Il y a toute une formation, plein de choses à faire avec les Aborigènes. Quand la lande anglaise a brûlé en février, les paysans ont dit: “les experts, dehors!” C’est l’échec de l’expertise, l’échec de tout ce en quoi on a cru en termes de science. Maintenant, ils disent "laissez-nous faire, parce qu’on l’a fait pendant des milliers d’années et vous nous empêchez de pratiquer des feux légers, des feux de surface, vous nous interdisez l’accès à nos terres en les enfermant ou en les vendant à des émirats, mais du coup, tout va brûler."»
Joëlle Zask ne préconise pas un retour en arrière, mais bien une combinaison entre les sciences anciennes et les sciences modernes. L’hybridation de différentes approches permettrait de mieux identifier et prévenir le phénomène des méga-feux.
Si un soin particulier n’est pas apporté à l’environnement commun, le réel problème sera la disparition des conditions d’existence humaine, animale et des autres espèces, «la planète nous survivra très bien, quant à elle», fustige Mme Zask.