L’année comment très fort sur le front économique. Les répercussions de l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani le 3 janvier par les États-Unis ne se font pas seulement sentir sur le terrain diplomatico-militaire. Alors que Téhéran réclame vengeance après le meurtre de son général le plus puissant, vu en Iran comme «l’homme qui arrêté Daesh», selon Jean-Dominique Merchet, correspondant de L’Opinion, les marchés s’inquiètent d’une escalade militaire qui pourrait conduire à un conflit armé direct entre Washington et Téhéran.
#GOLD #Iran #USA
— VincentBoy (@VincentBoy_IG) 6 janvier 2020
Le cours de l'or atteint un plus haut depuis avril 2013 suite à l'augmentation des tensions entre l'Iran et les Etats-Unis
Objectif atteint avec un test du retracement de Fibonacci de 61,8% à 1587 dollars l'once
On en parle dans le #Marketlive de 11h pic.twitter.com/TSh3gDPkHN
L’une des conséquences de ces préoccupations est la montée en flèche des cours de l’or. Le 6 janvier, le prix de l’once est venu tutoyer la barre des 1.600 dollars, un niveau qui n’avait plus été observé depuis plus de six ans. Si le 7 janvier, le cours du métal jaune est redescendu, son niveau reste élevé à plus de 1.550 dollars l’once à la mi-journée. Pendant ce temps, les États-Unis continuent de menacer l’Iran, qui assure de son côté plancher sur 13 scénarios de riposte après la mort de Quassem Soleimani.
Ce monde au bord de la crise de nerfs pourrait-il continuer à profiter au marché de l’or? Les inquiétudes sur la santé de l’économie mondiale et du dollar pourraient-elles jouer un rôle dans une nouvelle flambée des cours? Faut-il investir dans le métal jaune?
Philippe Herlin, docteur en économie du Conservatoire National des Arts et Métiers, auteur de «L’or, un placement d’avenir» aux éditions Eyrolles et chroniqueur pour le site Or.fr, répond aux questions de Sputnik France.
Philippe Herlin: «Il faut constater qu’avant même les événements au Moyen-Orient, le cours de l’or avait commencé à monter. En 2015, nous avions presque touché les 1.000 dollars l’once et depuis le cours a tendance à monter de façon plutôt régulière. Cela tient au fait que les Banques centrales font de la planche à billets et que les taux d’intérêt sont très bas, même s’ils le sont plus en Europe qu’aux États-Unis. D’ailleurs, la récente attitude de la Réserve fédérale américaine est assez révélatrice. Après avoir procédé à plusieurs remontées des taux, elle a recommencé à les baisser. Le fait que l’or monte régulièrement depuis 2015 démontre que c’est bien un actif de sécurité qui permet de se protéger, comme le montre la soudaine flambée des cours dans le sillage de récents événements géopolitiques majeurs.»
Sputnik France: Les tensions entre les États-Unis et l’Iran sont-elles les seules à expliquer cette récente flambée des cours du métal jaune, qualifiée de «relique barbare» par certains acteurs de la finance? Les inquiétudes sur la faiblesse de l’économie mondiale –notamment américaine– et du dollar ne jouent-elles pas un rôle?
Je m’inquiète plus de la situation en Europe. D’ailleurs, il est intéressant de regarder le cours de l’or en euros, dont le record est tombé. En dollars, le plus haut date de 2011, avec un prix de l’once qui avait avoisiné les 1.900 dollars. Nous en sommes relativement loin aujourd’hui. Concernant l’euro, un nouveau plus haut a été touché le 6 janvier à 1.423 euros l’once. Cela me fait dire que la situation financière et bancaire est plus inquiétante en Europe qu’aux États-Unis.
La situation est d’autant plus préoccupante que la dernière fois que le cours de l’or en euros était monté si haut, nous étions dans la période de la crise des dettes souveraines fin 2011 –début 2012. Aujourd’hui, il n’y a pas de crise de ce type. Cela signifie donc que des acteurs de la finance s’inquiètent de la situation des banques en Europe et des taux zéro qui écrasent leurs marges. Ce sont des préoccupations qui ne font pas la Une du 20 heures comme à l’époque, mais qui sont tout aussi graves.»
Sputnik France: Plusieurs observateurs tels que l’économiste américain Paul Craig Roberts –qui a notamment officié en tant que sous-secrétaire au Trésor de Ronald Reagan– dénoncent une manipulation du marché de l’or par les Banques centrales, notamment la Réserve fédérale, afin d’empêcher la perte de confiance dans le dollar. Pourrait-on voir la FED intervenir pour éviter que l’or monte trop haut?
Philippe Herlin: «Ce sont des critiques récurrentes que je considère comme valides. Ces manipulations surviennent notamment sur le marché à terme, celui dit de “l’or papier” où, avec beaucoup d’argent investi et des effets de levier, il est possible de faire bouger les cours avec de grosses transactions qui n’impliquent pas la livraison d’or physique. Des banques d’affaires de mèche avec la FED peuvent donc intervenir pour tenter de faire baisser le cours de l’or.
On remarque assez souvent que lorsque le cours de l’or monte, de grosses ventes interviennent pour casser la dynamique. Cela joue certainement. Mais il reste difficile de manipuler le cours de l’or contre de grandes tendances de moyen et long terme. Je considère que le cours de l’or nous donne des informations de très bonne qualité, même s’il ne faut pas le regarder au jour le jour. Il faut observer les grandes tendances.»
Philippe Herlin: «Le fait que le cours augmente aussi bien en euros qu’en dollars signifie qu’il y a des inquiétudes sur l’économie et je pense qu’elles concernant davantage le secteur bancaire que la croissance économique, mais surtout la confiance dans les monnaies. Les observateurs et les investisseurs se rendent compte que les Banques centrales sont coincées. Elles ne peuvent plus sortir de leurs politiques de taux très bas, notamment en Europe, en Chine et au Japon. Et même aux États-Unis, la FED a recommencé à les baisser, même s’ils demeurent un peu plus hauts que dans les zones précédemment citées.
Ces inquiétudes sur les Banques centrales donnent par définition des inquiétudes sur les monnaies. Le fait de faire tourner la planche à billets génère une perte de confiance dans les monnaies. Et c’est grave, car cela peut in fine provoquer une fuite devant la monnaie, un contexte où les investisseurs cherchent à se débarrasser de leurs devises pour acheter d’autres actifs. C’est déjà un peu le cas et cela explique d’ailleurs la montée de l’immobilier dans de nombreuses parties du globe, la bonne santé des marchés actions ou la hausse du cours de l’or.
Nous ne sommes pas encore dans une vraie fuite, car un tel contexte provoquerait de l’hyperinflation. Nous en sommes encore heureusement loin. Mais je pense que les investisseurs commencent à avoir de vrais doutes. Pour ces raisons, je pense que l’or a encore de beaux jours devant lui, au-delà des événements au Moyen-Orient.»
Sputnik France: Conseillerez-vous à un particulier de miser sur l’or en 2020?
Philippe Herlin: «Tout à fait. L’or n’est pas trop haut. Il a entamé une remontée sur ces dernières années, mais nous sommes loin d’être dans une bulle. Il vaut mieux attendre que la situation au Moyen-Orient se calme et que le cours redescende un peu. Mais je conseille clairement une position acheteuse sur l’or. Se doter d’un peu de Bitcoin, qui a récemment augmenté, serait également, selon moi, une bonne idée d’investissement. Tout le monde est à peu près conscient qu’il existe des bulles sur l’immobilier, les actions ou les obligations. Pour ces raisons, l’or me semble un bon investissement.»