Assassinat ciblé de Qassem Soleimani: retour sur le parcours d’un «héros national» iranien

© AP Photo / UNCREDITEDQassem Soleimani
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Après la mort de Qassem Soleimani, Sputnik France revient avec le chercheur Hervé Ghannad, sur ce personnage quasiment légendaire en Iran. Spécialiste de l’Iran, Ghannad analyse l’importance de cet assassinat ciblé et les conséquences qu’il pourrait entraîner.

Le Pentagone a confirmé «l’exécution extrajudiciaire» du général Qassem Soleimani par une frappe de drone, ordonnée directement par le Président Trump. Cette décision pourrait avoir des conséquences bien au-delà des frontières iraniennes, et ce, à long terme. L’Ayatollah Khamenei a d’ailleurs déjà promis «une revanche vigoureuse» après la mort de son général.

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«Il est important de comprendre l’éthos que Soleimani et son culte de la personnalité ont cultivé en Iran: l’image d’un homme héroïque, pieux et d’une assurance suprême», explique sur twitter Suzanne Maloney, spécialiste de l’Iran au Brookings' Center for Middle East Policy.

En effet, pour mesurer adéquatement l’impact de cette décision, il convient de revenir sur le parcours du général Soleimani afin de prendre la pleine mesure de son importance dans l’imaginaire collectif iranien.

​L’histoire de Soleimani, c’est celle de l’iranien-modèle, post-révolution de 1979. Il aura d’ailleurs un rôle prépondérant dans presque tous les événements importants de l’Iran après la chute du Shah. Contacté par Sputnik France, le professeur Hervé Ghannad, qui a réalisé sa thèse sur l’Iran, revient sur le parcours fulgurant de ce général ultrapopulaire et son importance au sein du régime.

«S’il s’engage dès 1979, sa légende est réellement née à travers la guerre Irak-Iran des années 1980. Il participe fortement à la défense du pays et gagne la confiance de l’Ayatollah Khomeini, guide suprême de la révolution. Il devient très vite un héros national», souligne Hervé Ghannad

Durant cette guerre ultra-meurtrière, qui a servi de ciment à l’unité nationale iranienne, Soleimani n’en finit pas d’impressionner. Pendant cette période, afin de solidifier les acquis de la révolution, «l’Ayatollah Khomeini se trouve en nécessité de créer une branche armée proche du pouvoir, différente de l’armée régulière, et crée ainsi les fameux gardiens de la révolution, parmi lesquels Soleimani se retrouve vite l’un des commandants les plus influents», indique le chercheur.

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Il faut bien comprendre la place qui est celle des Pasdaran (autre nom Gardiens de la révolution) dans la société iranienne: «Les Pasdaran sont la force de frappe du régime. Cette armée milicienne proche du pouvoir est surentraînée, elle a le contrôle sur le nucléaire, les sous-marins, et d’autres éléments militaires stratégiques. Économiquement aussi, les Pasdaran sont très puissants: ils ont des sociétés cotées en bourse et contrôlent près de 30% de l’économie iranienne. Et Soleimani en est l’un des commandants les plus influents», souligne Ghannad.

​Son ascension a continué de manière linéaire, de l’intronisation de l’Ayatollah Khamenei jusqu’au jour de sa mort. Si bien que certains considèrent qu’il était le numéro deux informel du régime iranien, en particulier à l’intérieur de l’Iran. Qassem Soleimani s’était notamment illustré à la tête des forces Quds (bras armé extérieur des gardiens de la révolution) sur le théâtre syrien, dans des batailles cruciales, en soutien à Damas face à différentes factions islamistes. Il a aussi été présent au Liban lors du conflit de 2006 pour soutenir les milices alliées à l’Iran, et en Irak pour combattre Daech*.

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De plus, Soleimani a su cultiver en Iran son image de héros, en s’affichant publiquement sur des lignes de front en Syrie et ailleurs, ou aux côtés des familles de soldats tombés au front. Il a aussi entretenu l’image d’un homme très pieux, en se montrant souvent aux côtés de leaders spirituels chiites. C’est un véritable héros national, ce qui en a fait une cible de choix pour le gouvernement américain, et en particulier celui de Donald Trump, particulièrement hostile à l’Iran. Selon Hervé Ghannad, il y a d’ailleurs plusieurs motivations qui expliquent la chronologie de cet assassinat ciblé.

«D’une part, il y a une revanche à prendre par rapport à la prise de l’ambassade américaine de Téhéran en 1979. Pour énormément d’Américains, l’Iran est depuis un État terroriste. D’autre part, 2020 est une année électorale aux États-Unis, et avec de telles actions, Donald Trump est sûr de mobiliser ses soutiens électoraux hostiles à l’Iran», explique le chercheur, avant d’ajouter: «l’Irak, dont les États-Unis et l’Iran se disputent l’influence, est un puits de pétrole et cet assassinat s’inscrit dans cette lutte d’influence que se livrent ces deux puissances en Irak.»

​Une lutte suffisamment importante pour que Trump soit prêt à risquer, en tuant Soleimani, à encourir une réplique iranienne, pays dont les capacités de rétorsions sont bien réelles. L’Iran, malgré le poids des sanctions, reste une grande puissance régionale. Ces mesures de rétorsion pourraient d’ailleurs prendre différentes formes, nous explique Hervé Ghannad:

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«Je ne suis pas prophète, mais selon moi, il y a trois hypothèses qui entrent dans le champ d’action de l’Iran en termes de rétorsions: une option est d’attaquer des tankers sur le détroit d’Ormuz, par lequel passe 40% du pétrole et du gaz mondial, et de créer un bouleversement économique mondial.
Une autre est d’attaquer des intérêts militaires américains, comme des bases ou des convois américains. Ou alors, ils s’attaquent à des éléments diplomatiques américains présents dans la région (là aussi, type ambassade ou convoi diplomatique).»

Difficile de dire quelle forme prendra la vengeance iranienne, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle aura lieu. Le pays des mollahs en a les moyens, et la quasi-obligation, compte tenu du statut de héros national qu’avait atteint Soleimani. Il y a donc un risque majeur de voir une escalade qui pourrait vite devenir incontrôlable et avoir des répercussions dans le monde entier.

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